EC project "Review of Historical Seismicity in Europe" (RHISE) 1989-1993



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Jean Vogt *
* 1, rue du Docteur Woehrlin, 67000 Strasbourg-Robertsau, France.

Quiproquos à propos de séismes rhénans en 1776


A propos du séisme survenu le 28 décembre 1776 dans la région de Mannheim/Worms/Spire vient d'être décelé un véritable imbroglio.
Se pose d'abord un problème chronologique. D'habitude, les erreurs des catalogues et des listings qui les reprennent sans esprit critique (1) sont liés à des problèmes de calendriers. Mais il en est d'autres, simples - dont quelques exemples viennent d'être donnés (2) - ou complexes, ce qui est le cas du présent évènement.
D'une part, le séisme du décembre 1776 est situé par la plupart des catalogues le 28 novembre 1776. Citons Perrey, Langenbeck, Sieberg, Rothé et en dernier lieu, Leydecker (3). Visiblement, les catalogues ne font que se reprendre les uns les autres, sans contrôles, sans recherches nouvelles. Or, la date du 28 décembre est indiscutable. Le diaire de Hagard, à Mannheim, nous apprend à cette date qu'à "... 3 h. du matin l'on ressentit deux secousses de tremblement de terre assez forts ..." (4).
A cette date, à la même heure, les sources de Spire sont particulièrement riches en précisions (5). Nous pensons avoir saisi l'origine de l'erreur des catalogues. En amont, ils s'inspirent en effet d'un écho de la Gazette de France du 27 janvier 1777. Est donnée une information de Mannheim datée du 30 décembre 1776 et qui débute par les mots suivants: "Le 28 du mois dernier, on éprouva ... deux fortes secousses ...". Sans doute les mots "mois dernier" ont-ils fait conclure à novembre alors qu'il convient de les situer par rapport à janvier 1777.

D'autre parte, le catalogues font état, imperturbablement, d'une autre secousse, le 19 décembre, dans les mêmes parages, secousse qui pourrait faire figure de réplique par rapport à la fausse date, de précurseur par rapport à la véritable date.
A ce propos, le commentateur des sources de Spire s'étonne de l'absence d'information: "Darüber vermerken aber die Protokolle nichts". A vrai dire, cette secousse ne s'est sans doute jamais produite. De proche en proche, les catalogues auraient repris une information de Cotte qui, quant à lui, garde le silence au sujet de secousses du 28 novembre/décembre. Sans doute quelque erreur de transcription ou de typographie s'est-elle produite.
Mais il y a mieux. Consultons le dernier en date des catalogues allemands (ex-BRD), sous forme de listing sommaire (6). Nous apprenons qu'il se produit, le 28 novembre bien entendu, un séisme notable, avec un épicentre dans le Sud du fossé rhénan et une intensité VII.
Cette ligne s'inspire directement du catalogue de Sieberg qui écrit, le 28 novembre bien entendu: "Ein Erdbeben am Oberrhein: Zu Mülhausen fielen Schronstein. Mannheim 2 Stöße V, Speyer, Worms". A elle seule, cette présentation suscite des interrogations. Sans même commenter la décroissance évoquée par les indications chiffrées, VII à Mulhouse et V à Mannheim, il convient d'insister sur l'isolement du repère mulhousien, à une époque où les informations sont particulièrement abondantes; rien au Sud (Bâle !), à l'Ouest (Belfort !), à l'Est (Fribourg en Br.) et, surtout dans l'intervalle (Colmar !, Strasbourg !, Karlsruhe !).

Nos propres recherches ne nous ont fait connaître jusqu'ici aucun séisme à cette date dans la partie méridionale de la plaine rhénane. D'ailleurs, le catalogues de Perrey et de Langenbeck ne parlant pas de Mulhouse. Sans doute la rubrique du catalogue de Sieberg est-elle victime de quelque amalgame ou confusion, mais nous avons mieux à faire que d'entreprendre une enquête policière à ce sujet. Si le catalogue élaboré par J.P. Rothé au course d'une étape initiale du "Projet de la Carte Sismo-Tectonique de la France", il y a une quinzaine d'années, reprend les indications de Sieberg, il fait cependant ce commentaire: "il s'agit probablement de deux séismes distincts", sans aller au-delà.

Faisons le point.
A propos de l'aire macrosismique, le diaire de Hagard nous apprend que: "ces secousses n'ont pas été ressenties plus loin que à 4 lieues de Mannheim" (7), information essentielle pour la caractérisation du séisme.
C'est à Mannheim, répétons-le, qu'est signalée la répétition de deux secousses. A cet égard, le rapport de l'Observatoire est d'une remarquable précision:
"... on a entendu à trois heures quinze minutes ... un bruit sourd, tel qu'on l'aurait soupçonné être celui d'un canon tiré à une lieue de distance ... à l'instant le haut de l'observatoire sembla prêt à s'écrouler et qu'un autre bruit moins fort, accompagné d'un tremblement de la Grand'Salle ... se fit entendre ...".

Et d'ajouter: "Tout cela se passe dans l'espace de douze à quinze secondes". Cependant, la Gazette de France, qui reprend ce rapport, donne au préalable des indications différentes: "... deux fortes secousses ... qui ont duré l'une une minute et quelque secondes et l'autre une minute entière ...". Il est vrai que l'origine de cette dernière information nous échappe. Quoiqu'il en soit, c'est d'une secousse qu'il est question à Spire, encore que l'événement puisse être présenté d'une manière globale.
Quels sont les effets du séisme ?
C'est de justesse que le catalogues ont échappé à une exagération. La Gazette de France, sans doute victime d'une traduction viciée, écrit à propos de Mannheim:
"... La plupart des habitants, épouvantés, par l'écroulement de leurs maisons et par le bruit spontané des cloches, sortirent de leurs lits et de leurs habitations".

L'erreur est reprise et accentué par Perrey: "Les maison s'écroulèrent, le cloches sonnèrent d'elles-mêmes". Heureusement ses successeurs, critiques pour une fois, ne reprendront pas ce propos en se contentant, sagement, d'une intensité V. Tel est aussi l'ordre de grandeur suggéré par les témoignages de Spire:
"... die ganze Erde habe sich erschüttert", "... es habe in der Luft gesaust und das Schilderhaus ... habe hin und her gewankt", "... hätten alle Häuser gekracht", "... die Häuser hätten gewankt und gekracht" (8).

Malencontreusement, les échos ruraux font encore défaut.

Pour terminer, signalons une énigme. Sans autre précision de date, l'église de Kandel serait endommagée en 1776 par un tremblement de terre: "... Turmbeschädigung ... 1776 durch Erdbeben ..." (9). La source de cette information n'a pas été décelée jusqu'ici. Rien ne permet donc d'attribuer le tremblement de terre du 28 décembre 1776 à la célèbre zone-source de Kandel.

Notes
1) A ce propos voir la note 1 de la publication "L'imbroglio ...", publiée dans le présent volume.
2) Voir J. Vogt, 1991, First results from a systematic revision of the macroseismicity of Rhine-graben area. In: Kozak, J. (Editor), Proc. 3rd ESC Workshop on "Historical Earthquakes in Europe", Liblice by Prague, 4-6 April 1990, pp. 13-19. Malheuresement, une page essentielle de ce texte a échappé à l'edition. Elle est tenue à la disposition des personnes intéresseés.
3) C'est le seul catalogue dont nous donnons la référence, a savoir G. Leydecker, 1986, Erdbebenkatalog für die Bundesrepublik Deutschland mit Randgebieten für die Jahre 1000-1981, Geologisches Jahrbuch, Reihe E, Geophysik, 36.
4) K. Speyer, 1922, Auszug aus dem Tagebuch des Hoffuriers Hagard, Mannheimer Geschitsblätter, t. 23.
5) F. Klotz, 1956, Ein Erdbeben von 1776 in Speyer, Pfälzer Heimat.
6) Cf. note 3.
7) Cf. note 4.
8) Cf. note 5.
9) Handbuch des Bistums Speyer, 1961.


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