EC project "Review of Historical Seismicity in Europe" (RHISE) 1989-1993



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Jean Vogt*
* 1, rue du Docteur Woehrlin, 67000 Strasbourg-Robertsau, France.

Progrès de la connaissance
de la macrosismicité de l'Alsace


Personne ne doute de la complémentarité de la sismologie instrumentale et de la macrosismologie. L'indispensable réinterprétation de l'une et de l'autre va souvent de pair. Par ailleurs, la maîtrise de la sismologie historique est essentielle pour l'analyse proprement sismologique (déroulement des crises sismiques, etc.), la discussion sismo-tectonique, l'appréciation du risque sismique au sens probabiliste du terme, la prévention, etc. (1).
Ces remarques s'appliquent singulièrement au domaine rhénan pour deux raisons bien différentes: d'une part, la complexité du cadre tectonique exige une analyse sismo-tectonique particulièrement fine; d'autre part, ce domaine n'échappe pas à une psychose sismique de mauvais aloi, soigneusement entretenue par d'aucuns.
D'une manière générale, la sismologie historique connaît une remarquable renaissance depuis une quinzaine d'années. Colloques et publications se multiplient à un rythme rapide, non sans redites, non sans erreurs parfois monumentales, non sans une certaine course aux "records", en particulier en termes de nombre de sources, quelles qu'elles soient, qu'elles soient originales ou répétitives.

Qu'en est-il en Alsace, avec sa floraison de séismes spécifiques, en général modestes, et les effets, eux aussi modestes le plus souvent, de nombreux événements lointains?
Au cours de trois quarts de siècles, les auteurs de catalogues, de vues d'ensemble de sa sismicité et d'aperçus sismo-tectoniques s'étaient contentés de reprendre, directement ou indirectement, le remarquable catalogue de Langenbeck (2), sans entreprendre de nouvelles recherches, situation certes paradoxale, compte-tenu de la richesse des archives et des bibliothèques. C'est à partir de 1975 que s'est développé un effort de révision et d'enrichissement, en divers contextes, en dernier lieu dans le cadre du Projet C.E.E. (3), sans oublier d'importants apports personnels. Après des vues d'ensemble régionales, d'orientation méthodologique (4), un rapide bilan de ces recherches a été presenté dans un cadre plus large au Colloque de Sismologie historique de Liblice (5).
Qu'il suffise de présenter quelques grandes orientations, à propos de l'un ou l'autre événement, parmi bien d'autres, en sautant d'un siècle à l'autre.

Sont (re) découverts des séismes perdus de vue par les catalogues. L'exemple le plus spectaculaire est, certes, le tremblement de terre du 13 août 782, consigné en ces termes par les Annales de l'abbaye de Wissembourg: "Fuit terrae motus magnus in monastero Huizunburgo"... C'est, à nos latitudes, l'un des plus anciens témoignages locaux, tant les échos par ouï-dire sont abondants. Aux confins septentrionaux de l'Alsace, un dossier éclaire désormais la crise sismique de septembre 1763, responsable de quelques dégâts au coeur du Bienwald. Il serait possible de multiplier ces exemples, jusqu'à une date récente.

Sont décelées des erreurs chronologiques qui se traduisent en particulier par le dédoublement d'un même séisme en deux événements. Passons sur le sottisier en quelque sorte classique lié à la juxtaposition de deux calendriers, l'un catholique, l'autre protestant, pour évoquer une remarquable étourderie. C'est bien à tort que les catalogues successifs rapprochent des secousses ressenties en décembre 1785 (6) à Wissembourg et à Mayence. En effet, les mêmes informations wissembourgeoises sont mises en oeuvre par les mêmes catalogues pour définir la crise sismique de décembre 1780, consignée en outre à Tübingen et à Haguenau, en ce dernier lieu avec un luxe de détails grâce à un rapport retrouvé récemment à ... l'Académie de Médecine, au cours de dépouillements systématiques. Il reste à purger les listings de la crise de décembre 1785. L'analyse de l'intense activité sismique de 1837 a été retardée par une autre bévue chronologique. C'est du 4 novembre que les catalogues qui, une fois de plus, se copient les uns les autres, datent les secousses ressenties en fait le 4 septembre au Vieux-Brisach. L'un ou l'autre dédoublement résulte d'une exploitation hâtive de la presse. Tel serait le cas d'une secousse datée du 25 février 1859 dans la vallée de la Wiese (Bade) et du 4 mars 1859 à Mulhouse, non sans conséquences pour la détermination de l'épicentre d'un événement présumé unique.

Sont débrouillés des imbroglios dont l'innombrable activité sismique que la Suisse connâit en 1650/51, avec des effets en Alsace, et les nombreux séismes ressentis à Strasbourg au début de XIXe siècle sont de bons exemples. Pour la première, objet d'une révision il y a quelques années, les recherches récentes apportent d'ailleurs des précisions en nombre tel qu'elles conduiront à une deuxième mise au point. D'une manière significative le pasteur de Meilen (canton de Zurich) consigne les informations de pélerins de Soultz (Haut-Rhin): "... hab ich ... von Pilgern von Sulz ... gehört daß an selben Enden auch einen (Erdbidem) sich merken lassen den Tag aber und Stund konnten sie eigentlich nit sagen" (registres paroissiaux).

Est precisé le déroulement de nombreuses crises. Tel est en particulier le cas des longues crises de 1728 et 1737, avec des épicentres Outre-Rhin, largement ressenties en Alsace. Pour la première, un riche dossier formé ces dernières années permet non seulement de mieux definir une foule de secousses, mais aussi d'esquisser les "enveloppes" de plusieurs d'entre elles (7). Et le dossier ne cesse de s'enrichir, en particulier grâce à une remarquable source d'Endingen (Bade), de sorte qu'une première révision sera bientôt suivie d'une seconde. Quant à la crise de 1737, elle est présentée d'une manière hâtive par les anciens catalogues, tandis que les catalogues modernes s'abstiennent de l'analyse d'une source fondamentale, à savoir le rapport latin du médecin Textor, de Karlsruhe, publié par Bernoulli. Au demeurant les catalogues n'évoquent pas le Nord de l'Alsace. En fait, une première secousse est signalée à Lauterbourg, Wissembourg, Haguenau, etc.; à une troisième sont attribués quelques degâts à Lauterbourg, etc. (8). L'accent est mis sur la hiérarchie des différentes secousses, avec leur cortège de répliques, de manière à faciliter la définition de "familles", compte tenu des caractéristiques des crises modernes, connues en détail par la sismologie instrumentale. D'autre part, cette analyse pose le problème de la migration des épicentres, migration qui appelle la même remarque.

A ce propos, il n'et pas inutile de rappeler que la réexploitation des enquêtes du B.C.S.F., à la demande du C.E.A. et d'E.D.F. d'abord, à titre personnel ensuite, a multiplié les surprises pour les séismes récents, singulièrement en Alsace.
Pour la crise du 23 mai 1960 (Val de Villé) se pose un problème de hiérarchie. Les Annales de l'I.P.G. mettent en effet l'accent sur une première secousse en signalant rapidement une seconde. En fait, la plupart des réponses les présentent conjointement, en leur attribuant parfois une force égale ou en mettant en relief l'une au l'autre. En plusieurs points seule la seconde serait signalée. Surtout, cette entreprise a permis de mieux saisir les macro-répliques de plusieurs crises complexes. Ainsi écrivons-nous à propos du séisme de Rastatt, en février 1933:
"Les Annales de l'Institut de Physique du Globe de Strasbourg ne font pas état des répliques signalées par les questionnaires si ce n'est, incidemment, des caractères instrumentaux de l'une d'elles. Elles sont au nombre de deux ..., avec des repères suffisamment nombreux pour esquisser des enveloppes ... ces repères s'inscrivent grosso modo dans le domaine des intensités élevées de la secousse principale ...".

C'est surtout à ce point de vue que la présentation par les mêmes Annales de la crise survenue dans l'Outre-Forêt en septembre/octobre 1952 appelle de sévères critiques. Reprenons quelques propos, au hasard, parmi bien d'autres. A propos de l'activité des 6 et 7 octobre:
"Pour les répliques, le dossier du B.C.S.F. comprend à notre surprise des informations substantielles dont la mise au point des Annales ne tient pas compte; en tête viennent deux remarquables témoignages ... suscités par un appel publié par la presse ... Les répliques sont connues avec une certaine précision. Si le questionnaire de Buhl rappelle que de nombreuses secousses ont été ressenties du 6 au 8, si plusieurs secousses se succèdent à un intervalle de 15 à 26 minutes à Betschdorf ..., d'autres documents permettent d'identifier les principales d'entre elles ..."; à propos du 8 octobre: "Les Annales ne font pas état des répliques dont les archives du B.C.S.F. évoquent cependant plusieurs. Une première ... est signalée dans une aire étendue ... Une seconde ... est ressentie à Drachenbronn, Leutenheim, Seltz et Rastatt ... Une troisième n'est signalée ... qu'à Drachenbronn, mais une confusion avec la suivante n'est pas exclue ... C'est vers 22h ... qu'une réplique est ressentie à Wissembourg, Sturzelbronn et Baerenthal et soupçonnée à Saverne. Sans autre précision, trois secousses sont signalées dans la journée à Riedseltz. Un écho wissembourgeois suggère de faibles répliques ultérieures ...".

De la même manière a été repris l'examen des répliques du séisme du 13 mai 1960 (Val de Villé) sacrifiées par les Annales de l'I.P.G., comme les précédentes. D'une manière significative, la richesse des réponses aux questionnaires est telle qu'il est possible d'esquisser l'aire d'une réplique principale et, globalement, celle des répliques discrètes.
Il est permis de s'interroger au sujet d'un processus d'appauvrissement qui prive les sismologues de précieuses informations. A divers degrès, nous retrouvons d'ailleurs ce processus en d'autres régions. Sans doute l'une ou l'autre enquête macrosismique, convenablement exploitée, permettrait-elle de combler des lacunes de la sismologie instrumentale du moins aux époques où elle présente encore des problèmes de fiabilité.

De même, les surprises sont nombreuses pour la définition des aires macrosismiques ou, à défaut, des "enveloppes". Pour le séisme du 12 décembre 1672, aucun repère n'était connu au Nord de Bâle. En fait, de récentes recherches montrent qu'il est ressenti à Colmar et à Strasbourg. Alors que les catalogues classiques proposent une modeste intensité maximale, V, à Eglisau, ce qui n'exclut pas la suggestion implicite d'un épicentre dans ces parages, les repères alsaciens justifient à eux seuls des recherches serrées dans un domaine étendu.

De même, les secousses du 21 juin 1853 ne sont-elles signalées par les catalogues qu'à Mullheim (Bade), d'une manière ponctuelle. En fait, elles sont ressenties dans une aire englobant non seulement la région de Lörrach et Sankt-Blasien sur la rive droite, mais aussi Mulhouse. A une information ponctuelle, ininterprétable dans le cas présent, se substitue une "enveloppe" suggestive, sans préjuger, certes, de l'aire macrosismique.
Bien plus, l'analyse contemporaine du séisme du 14 février 1899 (épicentre au Nord-Ouest du Kaiserstuhl) sous-estime largement l'extension de l'aire macrosismique au Nord-Ouest. Ainsi à Sundhouse une forte secousse provoque le tremblement des chaises et des tables, beaucoup de personnes vont aux fénêtres et dans le rue; une telle secousse est aussi ressentie à Muttersholtz. C'est à la presse que sont dues ces informations qui ont échappé à une étude scientifique, ce qui, au demeurant, est fréquent. De tels éléments sont susceptibles d'apporter des nuances à l'idée qu'il était possible de se faire de la décroissance des intensités et de la profondeur des foyers, estimée dans le cas présent par d'aucuns à 2-3 km.

A notre étonnement, nous retrouvons de telles insuffisances dans les présentations de l'une ou l'autre crise par les Annales de l'I.P.G. Revenons à la crise d'Outre-Forêt en septembre/octobre 1952, à propos de l'activité du 29 septembre:
"La mise au point des Annales ... ne fait pas état d'effets à quelque distance. Ces effets sont certes surprenants à première vue ... A l'Ouest, à Keskastel ... deux secousses sont distinguées avec précision ... Au SSW apparaît un groupement remarquable a Mutzig ..., Obernai, Niedernai et Meistratzheim..."; à propos du 6/7 octobre: "L'aire macrosismique est bien plus étendue que ne le suggére la mise au point des Annales. En effet, la secoussse (principale) est signalée en plusieurs points à l'Ouest, au Sud-Ouest et au Sud, en particulier à partir de questionnaires destinées a celle du 29 (septembre). Texte et croquis des Annales de l'I.P.G. ne permettent pas de saisir dans son ensemble l'aire macrosismique de la secousse principale du 13 mai 1960 (Val de Villé ?). Ainsi englobe-t-elle à l'Ouest les parages de Ban-de-Sapt, Celles-sur-Plaine et de Senones où des objets attachés aux murs se sont détachés". Inutile reprendre les précedénts commentaires.

Nombreuses sont les intensités qui appellent une révision parfois draconienne. Reprenons les effets en Alsace du séisme du 14 février 1899. Un contrôle conduit à substituer un ordre de grandeur V au degrè III en plusieurs points, par exemple à Artolsheim, avec une homogénéisation modifiant elle aussi dans une mesure importante l'idée qu'il était possible de se faire de la décroissance des intensités. A une autre échelle, la présentation classique des effets en Alsace du séisme souabe du 20 juillet 1913 est plus inquiétante encore. Rappelons que l'isoséiste III-IV englobe une grande partie de la Suisse pour se perdre sur le Rhin en aval de Bâle. Le "vide alsacien" peut suggérer une aire macrosismique d'axe Sud-Ouest/Nord-Est. Cette situation est résumée en ces termes par un catalogue moderne: "Secousse largement ressentie en Suisse ... et probablement faiblement en Alsace, à Mulhouse et à Strasbourg". Une enquête détaillée, sur les deux rives du Rhin, montre que ces intensités sont largement sous-estimées. En effet, une grande partie de la plaine d'Alsace est comprise dans le domaine des intensités V et IV. Ainsi, les maisons de Westhouse (Ried) tremblent et font entendre des craquements, à Geispolsheim la secousse est ressentie dehors, à tel point que certains se tiennent aux arbres des jardins. D'ailleurs, l'aire macrosismique englobe Saint-Dié et Saarbrücken. Si l'on s'en tenait aux catalogues l'appréciation de la décroissance vers l'Ouest serait donc parfaitement fantaisiste. Une fois de plus, c'est la presse qui nous tire d'affaire ...

De la même manière, les incohérences de la présentation du séisme du 4 septembre 1959 (Ried d'Erstein) par les Annales de l'I.P.G. ont conduit à une réexploitation des questionnaires du B.C.S.F. En particulier avait été relevé le passage brutal d'intensités de l'ordre de V le long de l'Ill à des intensités del'ordre de III au-delà, avec le cas extrême du contraste des degrés V-VI à Huttenheim et III à Benfeld. Nous retrouvons d'ailleurs l'habituel déficit des intensités IV, l'une des caractéristiques des analyses du B.C.S.F. au cours de longues années, en raison d'une mise en oeuvre en quelque sorte "mécanique" de l'échelle d'intensité, sans toujours exploiter les suggestions des réponses aux questionnaires. Quoiqu'il en soit, la révision conduit dans l'aire épicentrale à une égalisation autour du degré VI, en écartant le degré VII, tandis que les degrés V et IV prennent de l'importance vers l'Ouest, d'une manière relativement homogène. Plusieurs erreurs sont dues à l'ambiguïté du terme "plusieurs", lu sans discernement et conduisant à une foule d'intensités III. D'autres sont impardonnables: à Daubensand la secousse est ressentie dans les champs. Néanmoins est proposée une intensité III. A Niedernai, tout le monde est aux champs, sans ressentir la secousse. Le degré II s'explique par le recours à un unique témoin, au village. Si le séisme était survenu à une autre heure, après le travail des champs, une partie de la population l'aurait sans doute ressenti ...

Ce qui nous étonne le plus au terme de longues années de tels exercices, non seulement en Alsace, mais aussi ailleurs (Afrique du Nord, Antilles, etc.), c'est le caractère exceptionnel de la nuance et de l'interrogation. En reprenant volontiers autrui, on affirme sans toujours songer aux implications proprement sismologiques, sismo-tectoniques, etc. Certes, un tel état d'esprit s'est parfois manifesté lors de l'exploitation des enquêtes macrosismique, mais il est particuliérement redoutable en matière de sismologie historique. Dans ce domaine la qualité d'un travail se mesure précisément au nombre des interrogation et des appréciations de fiabilité.

Illustrons ces remarques par un exemple récent, à propos d'une séisme ancien. A notre étonnement, un rapport vient d'affirmer que l'épicentre du séisme du 29 novembre 1784 est situé a Mulhouse. Or, à cet événement longtemps mal connu, malmené par les catalogues, ont été consacrées de longues recherches qui ne se prêtent en aucune manière à un propos aussi entier, sans doute dû à l'exploitation hâtive d'un listing. Au contraire, il importe de souligner que les repères disponibles, urbains et ruraux, sont insuffisants pour esquisser des isoséistes et proposer un épicentre précis. Tout au plus est-il possible d'esquisser l'aire des intensités les plus élevées, d'ailleurs susceptible de révision. A proprement parler s'affrontent deux états d'esprit: les uns prétendent au "définitif" non sans quelque triomphalisme, tandis que d'autres s'en tiennent modestement à ces "instantanés" dont la sismologie historique est faite par définition. Tel est l'un de ces problèmes "culturels" que la science moderne ne cesse de poser.
Et pour bien prendre nos distances par rapport au triomphalisme que pourraient nourrir quelques succès, insistons sur les interrogations, innombrables, que laisse subsister l'effort de révision de ces dernières années. Qu'il suffise de quelques exemples, au hasard, une fois de plus.

Un problème chronologique particulièrement ardu se pose en 1509. Cette année, l'humaniste Beatus Rhenanus consigne sur l'un des ouvrages de sa célèbre bibliothèque la mention d'un tremblement de terre survenu le 18 octobre 1509, vers 20h: "... tecta, domus, turres singula quaeque tremuit". Il est vrai que le lieu nous échappe encore. Quoiqu'il en soit, cet événement est mentionné par la célèbre chronique de Villingen:"... ein grosser Erdbidem in allen Land ...".

Certes, un séisme de quelque importance est signalé par des sources tardives à la même époque, mais avec une datation différente, certes vague. Ainsi un séisme notable se produirait début novembre à Fribourg en Brisgau. C'est en septembre que la chronique de Hirsau fait état d'un tel événement, sans préciser le jour, mais en donnant une heure, précisément vers 20h. Quant aux catalogues classiques, ils évoquent le 14 septembre les effets d'un séisme alpin, date qui se trouve être celle du début d'une mémorable crise ... turque, ce qui relève de l'amalgame. A l'exception d'un lieu à préciser (Sélestat ?) et de la source de Villingen, tout reste en suspens (9). Un tel bilan est le propre d'une sismologie historique bien comprise. Une fois un problème chronologique clairement posé, il est souvent possible de serrer la discussion, voire d'apporter une solution, en allant au-delà (épicentre, aire macrosismique, intensités ...), en particulier par un retour aux sources contemporaines.

C'est d'une manière étrange que les catalogues successifs présentent l'aire macrosismique de la crise sismique de fin septembre/début octobre 1669. Sans parler des problèmes chronologiques posés par cette crise, problèmes résolus pour l'essentiel à Strasbourg, il est surprenant que les catalogues mettent l'accent sur cette ville, en admettant une intensité épicentrale VII, certes exagérée, tout en faisant état de plusieurs villes de la vallée du Main, sans s'interroger au sujet de l'absence de témoignages dans l'intervalle. A priori vient à nouveau à l'esprit l'hypothèse d'un amalgame, fréquemment pratiqué par les contemporains, volontiers repris par des catalogues élaborés sans esprit critique.

Chemin faisant, plusieurs exemples auront permis de se rendre compte du poids de ce qu'il est possible d'appeler la "fixation urbaine". Nombreux sont les séismes qui ne sont encore connus que par des témoignages urbains, souvent d'une seule ville.
Tel est le cas d'une foule de séismes anciens, consignés par les chroniques de Strasbourg et surtout de Bâle. Si la connaissance de plusieurs de ces événements a fait des progrès, en particulier par la découverte de providentielles sources rurales, elle reste désespérément ponctuelle pour la plupart d'entre eux, ce qui interdit toute interprétation (épicentre, aire macrosismique, etc.), en posant d'ailleurs un problème d'informatisation intrinsèque, sans parler d'une exploitation hâtive de listings par des esprits dénués de sens critique (10). Au demeurant, cette connaisance ponctuelle subsiste pour plusieurs événements du XXe siècle. Ainsi les séismes des 4 septembre 1837 et du 9 juin 1850 ne sont-ils encore connus qu'au Vieux-Brisach, avec des intensités de l'ordre de V, à l'exclusion de toute information au Kaiserstuhl et sur la rive gauche. Visiblement, il est malaisé de proposer des épicentres, ce qui n'a pas empêché l'auteur d'un catalogue récent de faire état du Kaiserstuhl, sans autre interrogation, sans doute par analogie avec une succession de séismes effectivement survenus dans ce dernier. Fréquemment, de telles informations ponctuelles se prêtent ainsi, en Alsace et ailleurs, à un processus de nourrissage, susceptible de conduire à des interprétations discutables.

Il ne peut être question de l'Alsace sans évoquer la célèbre crise sismologique survenue en 1356 dans la région bâloise, avec ses effets lointains, telle cette intensité VII admise à Strasbourg, sans toutefois exclure des effets de site. Cette crise ne cesse de poser des problèmes d'interprétation, sourtout d'un point de vue sismo-tectonique, mais aussi pour l'appréciation de l'intensité épicentrale. D'une manière significative des difficultés de diagnostic, des degrés X, IX, VIII ont été proposée jusqu'ici. Il semble qu'un accord s'établisse pour un ordre de grandeur IX. Quoiqu'il en soit, la connaissance concrète de cette crise vient de faire un progrès considérable grâce à une étude minutieuse, par une historienne de talent, de ses effets à Bâle même (11), étude dont il reste à interpréter les apports en termes de sismologie. Cet effort sera suivi d'un réexamen des effets matériels dans l'ensemble de l'aire des intensités élevées, dans le même esprit. Sans doute la caractérisation de cette crise serait-elle facilitée par des comparaisons avec des séismes ultérieurs, modestes, dont les épicentres se situeraient dans les même parages. Tel serait en particulier le cas du tremblement de terre du 26 mai 1910, avec une intensité épicentrale de l'ordre de VI.

Le nombre des révisions et des interrogations est tel qu'il serait possible de consacrer à l'Alsace un ouvrage spécialisé. Quel serait son bilan? Il est essentiel de souligner que l'appréciation des intensités maximales connues, telle qu'elle a été élaborée en 1977, au terme d'une première étape de travail, ne serait guère modifiée. L'idée qu'il était possible de se faire de la fréquence de l'une ou l'autre intensité serait quelque peu nuancée. En revanche, seraient clarifiés une foule d'événements, fût-ce sous forme de position de problème, non sans élimination de quelques "certitudes". Seraient multipliées les précisions, souvent importantes à l'un ou l'autre point de vue, sur le déroulement des crises et l'extension des aires macrosismiques. Seraient mises en doute un certain nombre de localisations d'épicentres et d'interprétations sismo-tectoniques nourries par des catalogues dont le caractère souvent sommaire et les erreurs parfois flagrantes sont à la mesure de leur "discours affirmatif".
Les croquis qui illustrent plusieurs articles récents d'orientation sismo-tectonique suggérent que la charrue a parfois pu être mise devant les boeufs. Une révision en amont en appelle d'autres en aval ... S'impose le développement du va-et-vient entre sismologie instrumentale et sismologie historique, dans l'intérêt bien compris de l'une et de l'autre, alors qu'une juxtaposition n'est que trop souvent pratiquée.
Quoiqu'il en soit, le rythme des découvertes et le nombre des interrogation, aux antipodes d'une "science affirmative" assurant le confort intellectuel, font de la révision de la sismicité historique de l'Alsace et de ses confins une entreprise continue, tant il est vrai qu'il suffit de quelque "trouvaille" pour susciter des réinterprétations draconiennes en aval.

Strasbourg, 1990

Notes
1) A ce propos voir la note 1 de la publication "L'imbroglio ...", publiée dans le présent volume.
2) R. Langenbeck, 1892-1895, Die Erdbebenerscheinungen in der oberrheinischen Tiefebene und ihrer Umgebung, Geographische Abhandlungen aus den Reichslanden Elsass-Lothringen, tt. I-II.
3) M. Stucchi, 1993, Through catalogues and historical records: an introduction to the project "Review of Historical Seismicity in Europe". In: M. Stucchi (Editor), Materials of the CEC project "Review of Historical Seismicity in Europe", 1, Milano, pp. 3-14.
4) J. Vogt, 1981, Les tremblements de terre en Alsace, Revue d'Alsace. "Tremblements de terre". In: Encyclopédie de l'Alsace, t. 12.
5) J. Vogt, 1991, First results from a systematic revision of the macroseismicity of Rhine-graben area. In: Kozak, J. (Editor), Proc. 3rd ESC Workshop on "Historical Earthquakes in Europe", Liblice by Prague, 4-6 April 1990, pp. 13-19. Ce texte signale les nombreux articles consacrés par l'auteur à la sismicité historique de l'Alsace et des région voisines, ce qui nous dispense de donner ici une telle bibliographie. Malheureusement une page essentielle du manuscrit a échappé à l'impression. Cette page est tenue à la disposition des personnes intéresseés.
6) Pour le detail, on se reportera à la discussion spécifique ("L'imbroglio ...") publiée dans le présent volume.
7) J. Vogt, 1986, La crise sismique rhénane d'août 1728, comm. inédite au Colloque de Sismicité Historique de Vienne, 1986. Les découvertes faites depuis permettent d'envisager la publication d'une monographie particulièrement fouillée.
8) J. Vogt, 1993, Révision de la crise sismique rhénane de mai 1737. In: M. Stucchi (Editor), Materials of the CEC project "Review of Historical Seismicity in Europe", 1, Milano, pp. 89-100.
9) J. Hirstein and J. Vogt, 1992, A propos de tremblement de terre en 1509, Annuaire des Amis de la Bibliothèque Humaniste de Sélestat.
10) Les problèmes generaux posés par une information sommaire et hâtive du patrimoine de sismologie historique ont été exposés en dernier lieu au dernier Congrés des Sociétés Savantes (Pau, 1993) par une communication de l'auteur, à paraitre.
11) E. Wechsler, 1987, Das Erdbeben von Basel 1356. Teil I: Historische und kunsthistorische Aspekte, Publikationsreihe des Schweizerischen Erdbebendienstes, ETH, Zürich.

Annexe

La "purge" de l'agrégat bâlois : l'exemple du tremblement de terre du 31 mars 1788
Bâle est un parfait exemple de "fixation urbaine". Il y a un quart de siècle une étude classique de la sismicité du fossé rhénan et de ses bordure énumérait en effet une centaine d'événements signalés uniquement à Bâle. Quel défi! Mais un défi qui a tardé à être relevé! Il y a une quinzaine d'années, ce problème fut purement et simplement escamoté par un catalogue rhénan élaboré, certes, avant la prise de conscience du besoin d'une révision systématique de la sismicité historique de ce domaine. C'est d'une manière globale que cette activité fut signalée, sans la moindre interrogation, sans la moindre perspective. L'apparition d'un tel agrégat sur une carte ne conduit que trop facilement à des conclusions discutables, non sans connotations catastrophistes. En pareil contexte, la moindre des choses est d'entreprendre une "purge" en redoublant d'efforts.

A titre d'exemple, considérons la secousse signalée par les catalogues à Bâle le 30 mars 1788. Reprenant ses prédecesseurs, Langenbeck, auteur d'un célèbre catalogue rhénan, il y a un siècle, écrit d'une manière laconique: "Am 30. März Erderschütterung in Basel". Reprenant cette maigre information, impropre à la moindre interprétation, le célèbre catalogue consacré il y a un demi-siècle par Sieberg à la sismicité de l'Allemagne jusqu'en 1799 évoque cependant, à titre d'hypothèse, une aire macrosismique:
"Erdstoß ... der vermutlich auch in den angrenzenden Teilen des Sund-und Breisgaus noch fühlbar war".

A vrai dire, il serait possible d'appliquer systématiquement une telle remarque, banale, à l'ensemble de l'agrégat bâlois, sans préjuger, certes, de la localisation des épicentres.
En fait, il est possible de saisir grâce à plusieurs sources, les unes d'accès facile, qui ont néanmoins échappé aux catalogues, les autres inédites, découvertes ces dernières années, une partie de l'aire de ce tremblement de terre. Insistons aussitôt sur le fait que ces sources sont rurales, ce qui est essentiel à nos yeux.
Si aucun témoignage n'est encore connu au Brisgau, le pronostic de Sieberg est confirmé pour la région de Belfort. Grâce à Lucie Roux, alors Directeur des Archives du Territoire de Belfort, nous disposons d'un témoignage, remarquable par sa précision, consigné dans le registre paroissial d'Etueffont-Haut: c'est vers 17h que "on a ressenti un tremblement de terre qui a été accompagné par un grand bruit; les uns l'ont ressenti et d'autres ont seulement entendu le bruit ..." (1).
Il est permis de songer à une intensité de l'ordre de IV.

Un grand saut nous conduit au Sud. C'est aux notes météorologiques du pasteur Frène que nous devons un repère tout aussi important:
" ... à 5h et demie du soir, l'on avait un léger tremblement de terre dans la paroisse de Tavannes et à Bellelay. J'était alors en rase campagne et ne sentis rien" (2).
Une fois de plus, admettons une intensité de l'ordre de IV. Sans doute trompé par un écho de seconde main, le listing français de sismiscité historique fait état de Moutier, certes proche.
Plus au Sud encore, notre secousse est signalée à Sutz, d'une manière laconique (3).

Faisons le point. La dispersion des témoignages est remarquable, sans que soit encore connu un point d'intensité notable qui permettrait de supputer un épicentre. Jusqu'à nouvel ordre, le repère bâlois ne saurait être mis en relief. Le rassemblement de ces données est donc à la fois un succès et un échec, suggérant des recherches spécifiques.
Pour l'histoire des mentalités, il n'est pas inutile d'ajouter un commentaire du curé d'Etueffont-haut. En effet, la secousse fut suivie d'une "pluie abondante qui a produit après quelques jours le beau temps".
A ce propos, il esquisse une comparaison avec un précédent séisme, sans doute celui de 1784: "... depuis son arrivée, nous n'avons plus eu de bonnes années". Et de conclure: "On espère que celui-ci remettra la terre en équilibre".

Au demeurant, de telles considérations sont fréquentes avec, parfois, une perception positive de l'activité sismique.

Notes
1) En dépôt aux Archives Départementales de Belfort.
2) X. Kohler (Editor), 1872, Observations météorologiques, économiques et rurales dans l'Erguel et la Prévôté de Moutier de 1747 à 1804 par le pasteur
T. Frène, Actes de la Société Jurassienne d'Emulation à Délémont, 22e Session.
3) Bürgerbibliotek Bern, ms. Oek. Ges. Q 16-20.


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