EC project "Review of Historical Seismicity
in Europe" (RHISE) 1989-1993
[Deliverables and queries] [Presentation] [Homepage] |
La sismicité historique du Nord du domaine
rhénan n'échappe pas à une indispensable révision
(1). Après d'autres événements est considérée
la crise de novembre 1787. C'est dans le cadre du projet "Review of Historical
Seismicity in Europe" de la C.E.E. que sont mis en oeuvre des
éléments nouveaux glanés ces dernières années
au gré des dépouillements, à l'exclusion de toute recherche
spécifique.
Jetons d'abord un coup d'oeil aux catalogues. Le dernier
en date, sous forme de listing, attribue au séisme du 4 novembre 1787,
à 3h, un épicentre par 48° 54' N / 8° 36' W,
c'est-à-dire dans la région de Pforzheim, une intensité
maximale connue de VI, un rayon de 140 km et même une profondeur, 8
km. A vrai dire, cette ligne de listing se borne à résumer
les indications du catalogue classique de Sieberg (2).
Revenons à ce dernier. Est esquissée
une crise sismique au Nord de la Forêt-Noire, avec une aire
épicentrale définie par "Deckenheim", avec précisément
une intensité VI, Gräfenhausen, Klein-Umstadt, Neuenburg (Enzgau).
Pour le moins sept secousses se succédent du 3 vers 20h au 4 vers
8h; l'accent est mis sur celles du 4 vers 3h et 6h. C'est au Nord de ce domaine
que sont multipliés les repères, en particulier Mannheim, Darmstadt
et Francfort, ce qui traduit un déséquilibre dont Sieberg est
conscient : "Vom übrigen Teil des Schüttergebietes ist nichts
bekannt". Cette remarque ne semble pas avoir "mis la puce à l'oreille"
de l'auteur du listing dont il vient d'être question.
A son tour, Sieberg utilise en particulier le catalogue
régional de Langenbeck auquel il convient d'emprunter une précision
essentielle: à "Deckenheim", mise en branle de la cloche de l'hôtel
de ville et chute d'un plafond qui conduisent, par la suite, à une
intensité VI. Pour l'essentiel, nous retrouvons ces informations chez
Boegner, en 1847 (3).
Avec un bel ensemble, ces auteurs jouent cependant
de malheur. Pour commencer, "Deckenheim" n'existe pas. C'est de Heppenheim
(Bergstrasse) qu'il s'agit. Il suffit, pour s'en rendre compte, de consulter
la Mainzer Zeitung de 1787, n.135 : "Zu Heppenheim war der Stoss
so heftig, dass die Rathausglocke verschiedene mal anschlug und die Decke
in einer Stube desselben herabfiel". Visiblement, personne ne s'est
soucié de localiser ce mystérieux "Deckenheim".
Une seconde surprise nous est réservée
par le catalogue de Sieberg. Parmi les repères qui définissent
l'aire épicentrale, Klein-Umstadt, à l'Est de Darmstadt, est
éloigné d'une centaine de km de la région de
Pforzheim.
En troisième lieu, la localisation de Gräfen
hausen dans la région de Pforzheim résulte d'une confusion.
C'est de Gräfenhausen proche de Darmstadt qu'il s'agit. Du même
coup disparaît Neuenburg, chef-lieu de bailliage qui sert à
Boegner pour localiser le faux Gräfenhausen et qui devient par la suite
l'un des lieux où la séisme serait ressenti.
On aura deviné que ces négligences
réduisent à néant l'interprétation consacrée
par l'ordinateur. Par rapport à ces nouveaux éléments,
en Hesse, les repères des catalogues s'ordonnent désormais
mieux au Nord, Francfort, etc., et au Sud, Mannheim, etc. L'aire
présumée épicentrale des catalogues échapperait-elle
à l'aire macrosismique?
L'essentiel est dit. Il est cependant possible de proposer
un tableau plus étoffé, de manière à serrer de
plus près l'aire épicentrale et à mieux définir
l'aire macrosismique.
Revenons à la secousse principale, le 4, vers
3h. D'un point de vue proprement sismologique, il n'est pas inutile de
préciser que deux secousses se succèdent rapidement, par exemple
à Erbach (Odenwald) et Erfelden (sur le Rhin, à l'Ouest de
Darmstadt) (4).
Les témoignages sont particulièrement
nombreux dans la région de Darmstadt. A Gräfenhausen, réveil
général, tremblement des maisons, des lits, des armoires, des
fenêtres, ouverture brutale de portes, ce qui suggère une
intensité de l'ordre de V (5). A Erfelden, un témoignage
particulièrement précis distingue, à la suite des deux
secousses, deux effets, d'abord "mein Haus zitterte und hin und wieder
krachte", puis "wurde ich...in meinem Bette hin und her gewiegt".
Passons sur d'autres informations, moins
détaillées. Au demeurant l'appréciation de l'intensité
est parfois rendue malaisée par le rôle du bruit sismique
évoqué avec précision à Eschollbrücken et
Niederbeerbach (près de Darmstadt), Erfelden, etc. Si la secousse
réveille la majorité des habitants de Darmstadt, c'est le bruit
qui les effraie (6). La secousse serait forte à Mayence, Francfort,
Hanau, etc. A Heidelberg, où il est question de craquement, de portes
et de déplacements d'objets, l'intensité serait de l'ordre
de IV.
Au-delà du Main, l'intensité diminuerait
cependant rapidement. En particulier, la secousse serait discrète
à Friedberg : "...will mans hier...gemerkt haben" (7). Dans
l'Ouest du Taunus, elle ne serait pas ressentie d'une manière
générale: ainsi Langenhain (à l'Est de Wiesbaden) ferait
figure de point négatif au milieu de points positifs (8). Il reste
que l'aire macrosismique s'étend bien au-delà, avec les
repères de Braubach, Katzenellenbogen (9), Giessen. C'est donc surtout
au Nord que nous disposons d'une connaissance satisfaisante de l'aire
macrosismique. Jusqu'où l'aire macrosismique s'étend-elle au
Sud, au-delà de Mannheim et Heidelberg? Surtout, les informations
font défaut à l'Ouest et à l'Est. A tout hasard, relevons
un témoignage négatif à
...Würzburg: "Während unserer Abwesenheit
wurden in Darmstadt ziemlich heftige Erdstösse verspürt. Wir haben
aber nichts davon bemerkt" (10).
Mais l'éloignement de Würzburg fait de
ce propos une curiosité, sans plus.
S'il est malaisé de tirer parti des indications
de direction, deux d'entre elles, sur trois, présentent une remarquable
cohérence: c'est du Sud-Ouest au Nord-Est que se dirigerait la secousse
à Gräfenhausen (plaine) et Niederbeerbach (Odenwald) (11).
Pour mieux saisir l'aire épicentrale, il convient
de s'attarder aux précurseurs et aux répliques. Le catalogue
de Sieberg fait état, répétons-le, d'une crise complexe,
évoquée d'une manière globale. C'est de Gräfenhausen
(près de Darmstadt et non pas de Pforzheim!) que provient l'information
au sujet d'une succession de sept secousses entre 20h et 8h. A Wixhausen
et Erzhausen, villages voisins, c'est de minuit à 7h que sont
comptées quatre secousses (12). Autant dire que plusieurs d'entre
elles sont très discrètes. Tel est bien le cas du précurseur
consigné à Gräfenhausen le soir du 3 : "Der Stoss von
gestern abend war ohne Wirkung und man verspürte nur einen verdumpfenden
Hummer, welchen man anfangs für ein entferntes Donnerwetter hielte"
(13).
Précurseur discret aussi au milieu de la nuit
à Darmstadt, Griesheim, etc. (14). Après la secousse principale,
trois répliques se succèdent à Gräfenhausen
(15).
C'est sur la réplique majeure qui survient vers
6 h qu'il convient de mettre l'accent. Il en est fait grand cas à
Gräfenhausen "... der zweite starke Stoss, der ebenfalls die Häuser
zittern machte, aber nicht so stark und anhaltend" (16), information
confirmée par plusieurs témoignages proches. A 15, 20, 30 km
de Darmstadt, cette réplique est cependant discrète, par exemple
à Erfelden, à l'Ouest :"... ganz gering, dass mans kaum
bemerkte" (17), à Erbach au-Sud-Est: "ein leichter Stoss"
(18).
Du moins est-il possible d'esquisser une aire
macrosismique. Cette réplique est elle-même suivie d'une faible
secousse à 8h, à Gräfenhausen. Nouvelle réplique,
discrète, vers 13h, à Darmstadt (19). Le matin du 7, vers 6h
1/2, une faible réplique est signalée à Darmstadt et
Eschollbröcken, voisin (20).
Une seconde crise se produit vers la fin de l'année
dans la même région. Le pasteur de Büttenborn en rend compte
d'une manière remarquable: "Nachdem am ersten Weihnachsttag
während der Predigt durch ein starkes Beben die Kirche erschüttert
worden war und nachdem sich dann noch einige leise Stösse an denselben
Tagen hatten vernehmer lassen, wurden bis zum Schluss des Jahres in mehreren
Nächten nur noch leise Schwingungen wahrgenommen" (21).
Jusqu'ici, nous ne disposons d'aucun autre
élément au sujet d'une crise qui échappe d'ailleurs
aux catalogues. Il n'est pas exclu qu'il s'agisse d'une crise-réplique
qui, à ce titre, justifierait des recherches spécifiques.
S'il est possible de reconstituer la crise de novembre
1787 avec quelque détail, les interrogations sont néanmoins
nombreuses. Certes, l'épicentre des catalogues est écarté,
certes l'erreur est d'une centaine de km, certes, il est permis de songer
à un épicentre dans un domaine sismogène connu (cf.
crise de 1869-71), mais il est malaisé de proposer un épicentre
précis en l'état des connaissances. En effet, les raisonnements
par analogie ne cessent de conduire à des mécomptes. Dans ce
cas précis l'information est, en outre, biaisée dès
lors que les renseignements détailles s'inscrivent pour l'essentiel
dans un cadre politique, Hesse-Darmstadt, et journalistique (Landzeitung).
Il reste que cette discussion éclaire d'une manière remarquable
les insuffisances de catalogues consacrés souverainement par
l'informatisation sans esprit critique, non sans conséquences proprement
sismologiques, sismotectoniques et éventuellement pratiques. Cette
fréquente déficience de la connaissance de base ne cesse
d'être dénoncée à propos d'une foule de cas
spécifiques, si nombreux qu'ils se prêtent à des
appréciations de caractère général, en particulier
à propos de génie sismique (22).
Strasbourg, 1991
Notes
1) J. Vogt, 1991, First results from a systematic
revision of the macroseismicity of Rhine-graben area. In: Kozak, J. (Editor),
Proc. 3rd ESC Workshop on "Historical Earthquakes in Europe", Liblice by
Prague, 4-6 April 1990, pp. 13-19. Malencontreusement une page essentielle
du manuscit a échappé à l'impression. Elle est tenue
à la disposition des personnes intéresseés.
2) G. Leydecker, 1986, Erdbebenkatalog für
die Bundesrepublik Deutschland mit Randgebieten für die Jahre 1000-1981,
Geologisches Jahrbuch, Reihe E, Geophysik, 36.
3) J. Boegner, 1847, Das Erdbeben und seine
Erscheinungen, Frankfurt.
4) Hessen-Darmstädtische Land-Zeitung des 6
et 10/11/1787.
5) Même source 6/11/1787.
6) Même source 6/11/1787.
7) O. Prätorius, 1910, Aus dem Tagebuch des
Friedberger Rektors L. Langsdorff..., Friedberger
Geschichtsblätter.
8) Hessen-Darmstädtische Land-Zeitung du
13/11/1787.
9) Même source 13/11.
10) C.P. Thiede et al., 1985, Jahre mit Luise von
Mecklenburg-Strelitz, aus Aufzeichnungen und Briefen der Salomé von
Gélien (1742-1822), Archiv für Hessische Geschichts-und
Altertumskunde.
11) Hessen-Darmstädtische Land-Zeitung des
6 et 10/11/1787.
12) Même source 6/11.
13) Même source 6/11.
14) Même source 6/11.
15) Même source 6/11.
16) Même source 6/11.
17) Même source 10/11.
18) Même source 10/11.
19) Même source 6/11.
20) Même source 10/11.
21) Pfarrchronik Büttelborn (aimable envoi
de la paroisse protestante). Cette source évoque aussi la crise de
novembre 1787, mais avec une précision moindre. Il en a été
fait état, avec une erreur d'année (1785) à propos de
la crise 1869 (Mittelrheinische Zeitung du 18/11/1869).
22) N.N. Ambraseys, 1991, Engineering Seismology,
Earthquakes and Volcanoes, 22, 3: 109-110.
[Top]
[Vol.1]
[Vol.2]
[Deliverables and queries]
[Presentation]
[Homepage]