EC project "Review of Historical Seismicity
in Europe" (RHISE) 1989-1993
[Deliverables and queries] [Presentation] [Homepage] |
Cet essai de sismologie historique régionale
présentera les étapes tortueuses de l'une de ces révisions
imposées par les insuffisances des catalogues classiques qui se reprennent
volontiers les uns les autres, sans esprit critique, sans retour aux sources,
sans recherches nouvelles.
Cette "purge" se poursuit inlassablement en
raison des implications des erreurs des catalogues à différentes
échelles, qu'il s'agisse de sismologie sensu stricto, de discussion
sismotectonique, d'appréciation du risque sismique au sens probabiliste
du terme, démarches d'ailleurs étroitement liées (1).
Commençons par la crise sismique signalée
par les catalogues en décembre 1785. Le dernier en date des catalogues,
élaboré par autrui à partir du célèbre
fichier strasbourgeois de J.P. Rothé, avant la prise de conscience
du besoin d'une révision systématique de la sismicité
de la France et des ses confins (2), fait état d'une secousse à
Wissembourg le 11 décembre 1785 à 2h 30, avec ce commentaire:
"Cette secousse est peut-être en relation avec celles signalées
les 11 et 12 décembre à Mayence", et en proposant à
titre d'hypothèse un épicentre par 49° 00' N / 07°
54' E, c'est-a-dire dans les parages de Wissembourg. Et il fait état
de citer le célèbre catalogue allemand de Sieberg (3).
Ce dernier présente effectivement deux rubriques.
D'une part, il signale le 10 et le 11 (et non pas le 11 et le 12) quelques
secousses à Mayence, d'après un catalogue inédit. D'autre
part, il fait état de la secousse ressentie à Wissembourg,
le 11, vers 2h 30, avec ce commentaire: "Es liegt nahe, dem weissenburger
Stoss mit dem aus Mainz gemeldeten in Verbindung zu setzen". Et de renvoyer
au célèbre catalogue rhénan de Langenbeck (4) qui, surprise,
ne mentionne pas cet événement ... En amont, le célèbre
catalogue de Perrey (5) garde lui aussi le silence ...
Une autre orientation est cependant donnée par
un ouvrage de vulgarisation de J. Boegner (6). A priori ses indications
présentent un intérêt particulier dés lors qu'est
évoquée non pas une seule secousse, mais une crise
sismique, en même temps que sont données de remarquables
précisations, à la différence des catalogues dont il
vient d'être question. A Wissembourg, la secousse de la nuit du 11
au 12 décembre 1785 est précédée d'une manière
significative par un bruit sismique: "... ein Erdbeben, welchem ein dumpfes
Getöse, das eine Minute dauerte, vorherging". Elle est suivie d'une
réplique au cours de la matinée du 12: "... ein etwas
schwächerer Stoss, der seine Richtung von Süden nach Norden
hatte". L'expérience montre cepedant que les indications de direction
ne sont guère fiables dès lors qu'est signalé dans les
meilleur des cas un élément d'un va-et-vient, par exemple Nord/Sud
et Sud/Nord, ce qui n'est donc pas contradictoire, à première
vue, avec l'hypothèse d'une crise sismique au Nord, dans le bassin
de Mayence. Encore l'absence de repères dans l'intervalle peut-elle
paraître étonnante ...
A vrai dire, le même ouvrage nous oriente dans
une direction fort différente, vers la Souabe. En effet, deux secousses
sont signalés le même jour à Tübingen, avec une
précision supérieure. La première survient vers 3h,
la seconde à 11h 3/4. Cependant, à la différence de
Wissembourg, la première serait un précurseur:
"... der zweite [Stoss] war heftiger
als der erste und wurde fast allgemein empfunden. Der Stoss glich dem
Niederwerfen einer schweren Last auf den oberen Boden, dauerte nur einen
Augenblick, das dadurch verursachte Wanken und Beben der Tische, Stühle
und Gläser, aus welchen das Getränke verschüttet ward, hielt
einige Sekunden an".
Ces éléments correspondent à une
intensité IV/V. Si les précisions font défaut à
Wissembourg, est cependant soulignée l'absence de dégâts,
ce qui implique une intensité de l'ordre de V au maximum.
A première vue, il serait possible de faire
grand cas de l'appréciation contradictoire de la hiérarchie
des secousses à Wissembourg et à Tübingen. En fait de
tels désaccords sont fréquents. Ne perdons pas de vue que la
première secousse survient de nuit et la seconde de jour, avec des
conditions de perception différentes.
En écartant certaines incohérences, comme
il vient d'être fait, une discussion rapide pourrait conduire à
envisager une crise sismique intéressant un domaine étendu,
Souabe, Nord de l'Alsace, bassin de Mayence, mais sans la moindre
possibilité de proposer un épicentre même très
approximatif. L'absence de repères intermédiaires, à
une époque de grande curiosité scientifique, est,
répétons-le, l'objection principale ...
Effectivement l'examen détaillé des
catalogues et une récente trouvaille, relative à Haguenau,
permettent de corriger le tir.
A notre surprise, le catalogue même qui nous
servit d'entrée en matière écrit: ".... 11 décembre
1780 à 3h et 12h15 .... tremblement de terre à Haguenau, ressenti
aussi à Wissembourg et Tübingen", avec cette proposition
d'épicentre: 49° 48' N/ 07° 48' E, bien plus au nord que
la précédente. Saute aux yeux la similitude avec les propos
relatifs à 1785, avec, certes, des hypothèses d'épicentres
très différentes, ce qui souligne parfaitement la relativité
de certains diagnostics. Nous tenons l'un de ces dédoublements
qui sont une malédiction des catalogues hâtifs. Attardons-nous
aux références; Sieberg (3) et Perrey (5). Le premier écrit
rapidement: "... Erdbeben in Süddeutschland; Berichte liegen nur
vor aus Tübingen, Hagenau und Wiessenburg". Et de citer à
son tour, outre le catalogue inédit dont il vient d'être question,
celui de Langenbeck (4) qui nous a fait faux bond pour 1785. Nous lisons:
"... Am 11. Dezember Erderschütterung in Hagenau", en se
référant à Cotte (7), Perrey et von Hoff (8). Perrey
mentionne le seul Haguenau, d'après Cotte, auteur de la fin du XVIIIe
siècle.
Précisément la chance vient de nous faire
découvrir la source de Cotte. Ce dernier est spécialiste de
la météorologie. Or, nombreux sont les médecins qui
adressent à l'Académie de Médecine des observations
météorologiques. A l'occasion, ils font aussi part de tremblements
de terre que Cotte ne manque pas de consigner. Tel est le cas d'un médecin
de Haguenau en 1780. Si la simple mention de Haguenau par les catalogues
nous laisse sur notre faim, son rapport relate une crise avec une foule de
détails instructifs. Le 11 décembre 1780, vers 2h 30, ne se
produisent pas une seule, mais trois secousses, très rapprochées:
"... nous avons essuyé trois secousses
de tremblement de terre, précédé chaque fois d'un bruit
souterrain sourd et assez fort, la première ... était forte
et dura environ 20 secondes, les deux autres furent moins vives et de moindre
durée".
A 11h 50 survient une
"... autre secousse bien forte également
précédée d'un bruit sourd, laquelle élançait
ceux qui étaient assis ou debout et a duré quinze secondes
...".
La direction est du Sud au Nord, une fois de plus.
Est soulignée l'absence de dégâts, comme à Wissemboug
(9). A la différence de Wissembourg et de Tübingen, notre
médecin ne donne pas la hiérarchie des secousses de la nuit
et de la matinée, hiérarchie au sujet de laquelle nous disposons
par ailleurs d'appréciations contradictoires.
D'une manière assurée, nous tenons une
crise sismique complexe qui affecte pour le moins le Nord de l'Alsace. Vers
2h 30 trois secousses se succédent rapidement à Haguenau, tandis
qu'il est question d'une secousse à Wissembourg, ce qui n'exclut certes
pas une présentation globale de plusieurs secousses. A Haguenau, la
première fait figure d'événement principal, avec deux
répliques. Au cours de la matinée, il n'est question que d'une
seule secousse, tant à Haguenau qu'à Wissembourg où
elle ferait figure de réplique. A Haguenau comme à Wissembourg
sont signalés des bruits sismiques. Les intensités maximales
seraient de l'ordre de V. Ces éléments sont empruntés
à un témoignage contemporain remarquable pour Haguenau et à
des informations de seconde main, fiables semble-t-il, victimes il est vrai
d'une erreur d'année, sans doute typographique (10). Telle est aussi
l'origine des données relatives à Tübingen qui
présentent un parallélisme remarquable avec les informations
alsaciennes. Si rien ne permet de retenir jusqu'à nouvel ordre un
rapprochement avec des événements du bassin de Mayence,
l'hypothèse d'un séisme affectant un domaine étendu,
Nord de l'Alsace et Souabe, reste plausible, encore que l'absence de
repères intermédiaires ne cesse de nourrir des hésitations.
Dans ces conditions, l'épicentre relève de l'interrogation.
S'imposent de nouvelles recherches, condition sine qua non d'une
éventualle interprétation sismotectonique.
Revenons au problème du dédoublement.
S'il n'avait été démontré, il aurait pu conduire
à une extension abusive de l'aire macrosismique au Sud. En effet,
le pasteur de Heiligenstein consigne en 1785, sans autre précision,
une secousse d'une certaine intensité: "... man die Kamine wanken
sah" (11). La tentation aurait été forte de la rattacher,
fût-ce à titre d'hypothèse, au pseudo-séisme du
11 décembre 1785.
A vrai dire, de telles révisions ne sont pas toujours vues d'un bon oeil, dès lors qu'elles battent en brèche les certitudes d'une "science affirmative" qui a volontiers recours à l'argument d'autorité, et jettent un doute sur la valeur de banques de données nourries par une informatisation hâtive et sommaire de catalogues classiques de fiabilité inégale.
Remerciements
Ce texte a paru dans les Etudes
Haguenoviennes, t. 17, 1991 sur le titre: "L'imbroglio des catalogues
de sismicité historique. A propos d'une crise sismique ressentie à
Haguenau et ailleurs. Les éditeurs remercient vivement M. Grasser,
directeur de cette revue, d'avoir autorisé une réédition
qui permet de mettre cette discussion à la fois méthodologique
et spécifique à la disposition d'un large cercle de lecteurs.
Notes
1) L'auteur a consacré une succession de mises au point à
ces problèms de mèthode. Voir en particulier: J. Vogt, 1987,
Problèms de mèthode de sismicité historique, base des
discussions de risque sismique. In: Exposés présentés
lors du symposium "Tremblements de terre. Evaluation du risque, mesures de
prévention et d'aide", Brigue, 7-10 avril 1986, pp. 58-63; J. Vogt,
1988, Sismicité historique: ambiguités sismologique. In: J.
Bonnin et al. (Editors), Seismic Hazard in Mediterranean Regions, Kluwer
Academic Publishers (an outcome of Strasbourg Seismological Summer School,
1986); J. Vogt, 1989, Random notes from a lecture at Sofia. Cursos y Seminarios,
3, pp. 1-7; J. Vogt, 1991, Some glimpses at historical seismology.
Tectonophysics, 193, pp. 1-7.
2) Une succession d'articles publiés en particulier par plusieurs
revues alsaciennes (L'Outre-Forêt, Annuaires des Sociétés
d'Histoire du Ried-Nord, de Molsheim, des Quatre-Cantons, de Sélestat,
Revue Historique de Mulhouse, Revue d'Alsace, etc. ...) indique
l'arrière-plan et le contexte de l'effort de révision entrepris
en France dans le cadre du Projet Sismo-Tectonique (C.E.A., E.D.F., B.R.G.M.,
à l'initiative du premier), de ses prolongements et aussi par la
suite.
3) A. Sieberg, 1940, Beiträge zum Erdbebenkatalog Deutschlands und
angrenzender Gebiete für die Jahre 58 bis 1799. Mitteilungen des Deutschen
Reichs-Erdbebendienstes, Heft 2, Berlin.
4) R. Langenbeck, 1892-1895, Die Erdbebenerscheinungen in der oberrheinischen
Tiefebene und ihrer Umgebung, Geographische Abhandlungen aus den Reichslanden
Elsass-Lothringen, tt. I-II.
5) A. Perrey, 1847, Mémoire sur les tremblements de terre dans le
bassin du Rhin, Mémoires couronnés et Mémoires des savants
étrangers, Bruxelles, XIX.
6) J. Boergner, 1847, Das Erdbeben und seine Erscheinungen, Francfort. Sa
source, pour Wissembourg et Tübingen, vient d'être identifiée:
G.G.F. Stoewe, 1791, Erklärung der Konstellationen ... welche Erdbeben,
Orkane, Donnerwetter usw ... verursachen ..., Berlin. Malheureusement cet
auteur n'indique pas sa propre source. Quoi qu'il en soit, il donne pour
Tübingen une précision que Boegner ne reprend pas: la deuxième
secousse est ressentie surtout dans les
moins proches du château et d'Osterberg.
7) P. Cotte, 1807, Tableau chronologique des principaux phénomènes
météorologiques observés en différens pays depuis
33 ans (1774 bis 1806), Journal de Physique, t. LXV.
8) K.E.A. von Hoff, 1841, Chronik der Erdbeben und Vulcan-Ausbrüche,
V. Gotha.
9) Archives de l'Académie de Médecine, 177/4. Pour d'autres
régions, des apports de ces archives en matière de sismicité
ont été publiés par autres revues: J. Vogt, 1988, Quand
les médecins auscultent les séismes, Archistra, n. 84; J. Vogt,
1988, Réflexions psychologiques et naturalistes au sujet d'un tremblement
de terre mineur de la fin du XVIIIe siècle, Travaux du Comité
Français d'Histoire de la Géologie.
10) Cf. note 6.
11) A ce sujet, voir J. Vogt, 1987, Sélestat et la sottisier des
catalogues de sismicité historique, Annuaire de la Société
des Amis de la Bibliothèque Humaniste de Sélestat.
[Top]
[Vol.1]
[Vol.2]
[Deliverables and queries]
[Presentation]
[Homepage]