EC project "Review of Historical Seismicity
in Europe" (RHISE) 1989-1993
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Personne ne doute de la complémentarité
de la sismologie instrumentale et de la macrosismologie. L'indispensable
réinterprétation de l'une et de l'autre va souvent de pair.
Par ailleurs, la maîtrise de la sismologie historique est essentielle
pour l'analyse proprement sismologique (déroulement des crises sismiques,
etc.), la discussion sismo-tectonique, l'appréciation du risque sismique
au sens probabiliste du terme, la prévention, etc. (1).
Ces remarques s'appliquent singulièrement au
domaine rhénan pour deux raisons bien différentes: d'une part,
la complexité du cadre tectonique exige une analyse sismo-tectonique
particulièrement fine; d'autre part, ce domaine n'échappe pas
à une psychose sismique de mauvais aloi, soigneusement entretenue
par d'aucuns.
D'une manière générale, la sismologie
historique connaît une remarquable renaissance depuis une quinzaine
d'années. Colloques et publications se multiplient à un rythme
rapide, non sans redites, non sans erreurs parfois monumentales, non sans
une certaine course aux "records", en
particulier en termes de nombre de sources,
quelles qu'elles soient, qu'elles soient originales ou répétitives.
Qu'en est-il en Alsace, avec sa floraison de séismes
spécifiques, en général modestes, et les effets, eux
aussi modestes le plus souvent, de nombreux événements lointains?
Au cours de trois quarts de siècles, les auteurs
de catalogues, de vues d'ensemble de sa sismicité et d'aperçus
sismo-tectoniques s'étaient contentés de reprendre, directement
ou indirectement, le remarquable catalogue de Langenbeck (2), sans entreprendre
de nouvelles recherches, situation certes paradoxale, compte-tenu de la richesse
des archives et des bibliothèques. C'est à partir de 1975 que
s'est développé un effort de révision et d'enrichissement,
en divers contextes, en dernier lieu dans le cadre du Projet C.E.E. (3),
sans oublier d'importants apports personnels. Après des vues d'ensemble
régionales, d'orientation méthodologique (4), un rapide bilan
de ces recherches a été presenté dans un cadre plus
large au Colloque de Sismologie historique de Liblice (5).
Qu'il suffise de présenter quelques grandes
orientations, à propos de l'un ou l'autre événement,
parmi bien d'autres, en sautant d'un siècle à l'autre.
Sont (re) découverts des séismes perdus
de vue par les catalogues. L'exemple le plus spectaculaire est, certes,
le tremblement de terre du 13 août 782, consigné en ces termes
par les Annales de l'abbaye de Wissembourg: "Fuit terrae motus magnus
in monastero Huizunburgo"... C'est, à nos latitudes, l'un des
plus anciens témoignages locaux, tant les échos par
ouï-dire sont abondants. Aux confins septentrionaux de l'Alsace, un
dossier éclaire désormais la crise sismique de septembre 1763,
responsable de quelques dégâts au coeur du Bienwald. Il serait
possible de multiplier ces exemples, jusqu'à une date récente.
Sont décelées des erreurs chronologiques
qui se traduisent en particulier par le dédoublement d'un même
séisme en deux événements. Passons sur le sottisier
en quelque sorte classique lié à la juxtaposition de deux
calendriers, l'un catholique, l'autre protestant, pour évoquer une
remarquable étourderie. C'est bien à tort que les catalogues
successifs rapprochent des secousses ressenties en décembre 1785
(6) à Wissembourg et à Mayence. En effet, les
mêmes informations wissembourgeoises sont mises en oeuvre par
les mêmes catalogues pour définir la crise sismique de
décembre 1780, consignée en outre à Tübingen
et à Haguenau, en ce dernier lieu avec un luxe de détails
grâce à un rapport retrouvé récemment à
... l'Académie de Médecine, au cours de dépouillements
systématiques. Il reste à purger les listings de la crise de
décembre 1785. L'analyse de l'intense activité sismique de
1837 a été retardée par une autre bévue
chronologique. C'est du 4 novembre que les catalogues qui, une fois de plus,
se copient les uns les autres, datent les secousses ressenties en fait le
4 septembre au Vieux-Brisach. L'un ou l'autre dédoublement résulte
d'une exploitation hâtive de la presse. Tel serait le cas d'une secousse
datée du 25 février 1859 dans la vallée de la Wiese
(Bade) et du 4 mars 1859 à Mulhouse, non sans conséquences
pour la détermination de l'épicentre d'un événement
présumé unique.
Sont débrouillés des imbroglios
dont l'innombrable activité sismique que la Suisse connâit en
1650/51, avec des effets en Alsace, et les nombreux séismes ressentis
à Strasbourg au début de XIXe siècle sont de bons exemples.
Pour la première, objet d'une révision il y a quelques
années, les recherches récentes apportent d'ailleurs des
précisions en nombre tel qu'elles conduiront à une deuxième
mise au point. D'une manière significative le pasteur de Meilen (canton
de Zurich) consigne les informations de pélerins de Soultz (Haut-Rhin):
"... hab ich ... von Pilgern von Sulz ... gehört daß an selben
Enden auch einen (Erdbidem) sich merken lassen den Tag aber und Stund konnten
sie eigentlich nit sagen" (registres paroissiaux).
Est precisé le déroulement de
nombreuses crises. Tel est en particulier le cas des longues crises de 1728
et 1737, avec des épicentres Outre-Rhin, largement ressenties en Alsace.
Pour la première, un riche dossier formé ces dernières
années permet non seulement de mieux definir une foule de secousses,
mais aussi d'esquisser les "enveloppes" de plusieurs d'entre elles (7). Et
le dossier ne cesse de s'enrichir, en particulier grâce à une
remarquable source d'Endingen (Bade), de sorte qu'une première
révision sera bientôt suivie d'une seconde. Quant à la
crise de 1737, elle est présentée d'une manière hâtive
par les anciens catalogues, tandis que les catalogues modernes s'abstiennent
de l'analyse d'une source fondamentale, à savoir le rapport latin
du médecin Textor, de Karlsruhe, publié par Bernoulli. Au demeurant
les catalogues n'évoquent pas le Nord de l'Alsace. En fait, une
première secousse est signalée à Lauterbourg, Wissembourg,
Haguenau, etc.; à une troisième sont attribués quelques
degâts à Lauterbourg, etc. (8). L'accent est mis sur la
hiérarchie des différentes secousses, avec leur cortège
de répliques, de manière à faciliter la définition
de "familles", compte tenu des caractéristiques des crises modernes,
connues en détail par la sismologie instrumentale. D'autre part, cette
analyse pose le problème de la migration des épicentres, migration
qui appelle la même remarque.
A ce propos, il n'et pas inutile de rappeler que la
réexploitation des enquêtes du B.C.S.F., à la demande
du C.E.A. et d'E.D.F. d'abord, à titre personnel ensuite, a
multiplié les surprises pour les séismes récents,
singulièrement en Alsace.
Pour la crise du 23 mai 1960 (Val de Villé)
se pose un problème de hiérarchie. Les Annales de l'I.P.G.
mettent en effet l'accent sur une première secousse en signalant
rapidement une seconde. En fait, la plupart des réponses les
présentent conjointement, en leur attribuant parfois une force égale
ou en mettant en relief l'une au l'autre. En plusieurs points seule la seconde
serait signalée. Surtout, cette entreprise a permis de mieux saisir
les macro-répliques de plusieurs crises complexes. Ainsi
écrivons-nous à propos du séisme de Rastatt, en
février 1933:
"Les Annales de l'Institut de Physique du Globe
de Strasbourg ne font pas état des répliques signalées
par les questionnaires si ce n'est, incidemment, des caractères
instrumentaux de l'une d'elles. Elles sont au nombre de deux ..., avec des
repères suffisamment nombreux pour esquisser des enveloppes ... ces
repères s'inscrivent grosso modo dans le domaine des intensités
élevées de la secousse principale
...".
C'est surtout à ce point de vue que la
présentation par les mêmes Annales de la crise survenue
dans l'Outre-Forêt en septembre/octobre 1952 appelle de sévères
critiques. Reprenons quelques propos, au hasard, parmi bien d'autres. A propos
de l'activité des 6 et 7 octobre:
"Pour les répliques, le dossier du B.C.S.F.
comprend à notre surprise des informations substantielles dont la
mise au point des Annales ne tient pas compte; en tête viennent deux
remarquables témoignages ... suscités par un appel publié
par la presse ... Les répliques sont connues avec une certaine
précision. Si le questionnaire de Buhl rappelle que de nombreuses
secousses ont été ressenties du 6 au 8, si plusieurs secousses
se succèdent à un intervalle de 15 à 26 minutes à
Betschdorf ..., d'autres documents permettent d'identifier les principales
d'entre elles ..."; à propos du 8
octobre: "Les Annales ne font pas état des répliques dont
les archives du B.C.S.F. évoquent cependant plusieurs. Une première
... est signalée dans une aire étendue ... Une seconde ...
est ressentie à Drachenbronn, Leutenheim, Seltz et Rastatt ... Une
troisième n'est signalée ... qu'à Drachenbronn, mais
une confusion avec la suivante n'est pas exclue ... C'est vers 22h ... qu'une
réplique est ressentie à Wissembourg, Sturzelbronn et Baerenthal
et soupçonnée à Saverne. Sans autre précision,
trois secousses sont signalées dans la journée à Riedseltz.
Un écho wissembourgeois suggère de faibles répliques
ultérieures ...".
De la même manière a été
repris l'examen des répliques du séisme du 13 mai 1960 (Val
de Villé) sacrifiées par les Annales de l'I.P.G., comme
les précédentes. D'une manière significative, la richesse
des réponses aux questionnaires est telle qu'il est possible d'esquisser
l'aire d'une réplique principale et, globalement, celle des
répliques discrètes.
Il est permis de s'interroger au sujet d'un processus
d'appauvrissement qui prive les sismologues de précieuses informations.
A divers degrès, nous retrouvons d'ailleurs ce processus en d'autres
régions. Sans doute l'une ou l'autre enquête macrosismique,
convenablement exploitée, permettrait-elle de combler des lacunes
de la sismologie instrumentale du moins aux époques où elle
présente encore des problèmes de fiabilité.
De même, les surprises sont nombreuses pour la
définition des aires macrosismiques ou, à défaut,
des "enveloppes". Pour le séisme du 12 décembre 1672, aucun
repère n'était connu au Nord de Bâle. En fait, de
récentes recherches montrent qu'il est ressenti à Colmar et
à Strasbourg. Alors que les catalogues classiques proposent une modeste
intensité maximale, V, à Eglisau, ce qui n'exclut pas la suggestion
implicite d'un épicentre dans ces parages, les repères alsaciens
justifient à eux seuls des recherches serrées dans un domaine
étendu.
De même, les secousses du 21 juin 1853 ne sont-elles
signalées par les catalogues qu'à Mullheim (Bade), d'une
manière ponctuelle. En fait, elles sont ressenties dans une aire englobant
non seulement la région de Lörrach et Sankt-Blasien sur la rive
droite, mais aussi Mulhouse. A une information ponctuelle, ininterprétable
dans le cas présent, se substitue une "enveloppe" suggestive, sans
préjuger, certes, de l'aire macrosismique.
Bien plus, l'analyse contemporaine du séisme
du 14 février 1899 (épicentre au Nord-Ouest du Kaiserstuhl)
sous-estime largement l'extension de l'aire macrosismique au Nord-Ouest.
Ainsi à Sundhouse une forte secousse provoque le tremblement des chaises
et des tables, beaucoup de personnes vont aux fénêtres et dans
le rue; une telle secousse est aussi ressentie à Muttersholtz. C'est
à la presse que sont dues ces informations qui ont échappé
à une étude scientifique, ce qui, au demeurant, est fréquent.
De tels éléments sont susceptibles d'apporter des nuances à
l'idée qu'il était possible de se faire de la décroissance
des intensités et de la profondeur des foyers, estimée dans
le cas présent par d'aucuns à 2-3 km.
A notre étonnement, nous retrouvons de telles
insuffisances dans les présentations de l'une ou l'autre crise par
les Annales de l'I.P.G. Revenons à la crise d'Outre-Forêt
en septembre/octobre 1952, à propos de l'activité du 29 septembre:
"La mise au point des Annales ... ne fait pas état
d'effets à quelque distance. Ces effets sont certes surprenants à
première vue ... A l'Ouest, à Keskastel ... deux secousses
sont distinguées avec précision ... Au SSW apparaît un
groupement remarquable a Mutzig ..., Obernai, Niedernai et
Meistratzheim..."; à propos du 6/7
octobre: "L'aire macrosismique est bien plus étendue que ne le
suggére la mise au point des Annales. En effet, la secoussse (principale)
est signalée en plusieurs points à l'Ouest, au Sud-Ouest et
au Sud, en particulier à partir de questionnaires destinées
a celle du 29 (septembre). Texte et croquis des Annales de l'I.P.G. ne permettent
pas de saisir dans son ensemble l'aire macrosismique de la secousse principale
du 13 mai 1960 (Val de Villé ?). Ainsi englobe-t-elle à l'Ouest
les parages de Ban-de-Sapt, Celles-sur-Plaine et de Senones où des
objets attachés aux murs se sont détachés". Inutile
reprendre les précedénts commentaires.
Nombreuses sont les intensités qui appellent
une révision parfois draconienne. Reprenons les effets en Alsace du
séisme du 14 février 1899. Un contrôle conduit à
substituer un ordre de grandeur V au degrè III en plusieurs points,
par exemple à Artolsheim, avec une homogénéisation modifiant
elle aussi dans une mesure importante l'idée qu'il était possible
de se faire de la décroissance des intensités. A une autre
échelle, la présentation classique des effets en Alsace du
séisme souabe du 20 juillet 1913 est plus inquiétante encore.
Rappelons que l'isoséiste III-IV englobe une grande partie de la Suisse
pour se perdre sur le Rhin en aval de Bâle. Le "vide alsacien" peut
suggérer une aire macrosismique d'axe Sud-Ouest/Nord-Est. Cette situation
est résumée en ces termes par un catalogue moderne: "Secousse
largement ressentie en Suisse ... et probablement faiblement en Alsace, à
Mulhouse et à Strasbourg". Une enquête détaillée,
sur les deux rives du Rhin, montre que ces intensités sont largement
sous-estimées. En effet, une grande partie de la plaine d'Alsace est
comprise dans le domaine des intensités V et IV. Ainsi, les maisons
de Westhouse (Ried) tremblent et font entendre des craquements, à
Geispolsheim la secousse est ressentie dehors, à tel point que certains
se tiennent aux arbres des jardins. D'ailleurs, l'aire macrosismique englobe
Saint-Dié et Saarbrücken. Si l'on s'en tenait aux catalogues
l'appréciation de la décroissance vers l'Ouest serait donc
parfaitement fantaisiste. Une fois de plus, c'est la presse qui nous tire
d'affaire ...
De la même manière, les incohérences
de la présentation du séisme du 4 septembre 1959 (Ried d'Erstein)
par les Annales de l'I.P.G. ont conduit à une réexploitation
des questionnaires du B.C.S.F. En particulier avait été
relevé le passage brutal d'intensités de l'ordre de V le long
de l'Ill à des intensités del'ordre de III au-delà,
avec le cas extrême du contraste des degrés V-VI à Huttenheim
et III à Benfeld. Nous retrouvons d'ailleurs l'habituel déficit
des intensités IV, l'une des caractéristiques des analyses
du B.C.S.F. au cours de longues années, en raison d'une mise en oeuvre
en quelque sorte "mécanique" de l'échelle d'intensité,
sans toujours exploiter les suggestions des réponses aux questionnaires.
Quoiqu'il en soit, la révision conduit dans l'aire épicentrale
à une égalisation autour du degré VI, en écartant
le degré VII, tandis que les degrés V et IV prennent de
l'importance vers l'Ouest, d'une manière relativement homogène.
Plusieurs erreurs sont dues à l'ambiguïté du terme
"plusieurs", lu sans discernement et conduisant à une foule
d'intensités III. D'autres sont impardonnables: à Daubensand
la secousse est ressentie dans les champs. Néanmoins est proposée
une intensité III. A Niedernai, tout le monde est aux champs, sans
ressentir la secousse. Le degré II s'explique par le recours à
un unique témoin, au village. Si le séisme était survenu
à une autre heure, après le travail des champs, une partie
de la population l'aurait sans doute ressenti ...
Ce qui nous étonne le plus au terme de longues
années de tels exercices, non seulement en Alsace, mais aussi ailleurs
(Afrique du Nord, Antilles, etc.), c'est le caractère exceptionnel
de la nuance et de l'interrogation. En reprenant volontiers autrui, on
affirme sans toujours songer aux implications proprement sismologiques,
sismo-tectoniques, etc. Certes, un tel état d'esprit s'est parfois
manifesté lors de l'exploitation des enquêtes macrosismique,
mais il est particuliérement redoutable en matière de sismologie
historique. Dans ce domaine la qualité d'un travail se mesure
précisément au nombre des interrogation et des appréciations
de fiabilité.
Illustrons ces remarques par un exemple récent,
à propos d'une séisme ancien. A notre étonnement, un
rapport vient d'affirmer que l'épicentre du séisme du 29 novembre
1784 est situé a Mulhouse. Or, à cet événement
longtemps mal connu, malmené par les catalogues, ont été
consacrées de longues recherches qui ne se prêtent en aucune
manière à un propos aussi entier, sans doute dû à
l'exploitation hâtive d'un listing. Au contraire, il importe de souligner
que les repères disponibles, urbains et ruraux, sont insuffisants
pour esquisser des isoséistes et proposer un épicentre
précis. Tout au plus est-il possible d'esquisser l'aire des
intensités les plus élevées, d'ailleurs susceptible
de révision. A proprement parler s'affrontent deux états d'esprit:
les uns prétendent au "définitif" non sans quelque triomphalisme,
tandis que d'autres s'en tiennent modestement à ces "instantanés"
dont la sismologie historique est faite par définition. Tel est l'un
de ces problèmes "culturels" que la science moderne ne cesse de
poser.
Et pour bien prendre nos distances par rapport au
triomphalisme que pourraient nourrir quelques succès, insistons sur
les interrogations, innombrables, que laisse subsister l'effort de révision
de ces dernières années. Qu'il suffise de quelques exemples,
au hasard, une fois de plus.
Un problème chronologique
particulièrement ardu se pose en 1509. Cette année, l'humaniste
Beatus Rhenanus consigne sur l'un des ouvrages de sa célèbre
bibliothèque la mention d'un tremblement de terre survenu le 18
octobre 1509, vers 20h: "... tecta, domus, turres singula quaeque
tremuit". Il est vrai que le lieu nous échappe encore.
Quoiqu'il en soit, cet événement est mentionné
par la célèbre chronique de Villingen:"... ein grosser Erdbidem
in allen Land ...".
Certes, un séisme de quelque importance est
signalé par des sources tardives à la même époque,
mais avec une datation différente, certes vague. Ainsi un séisme
notable se produirait début novembre à Fribourg en Brisgau.
C'est en septembre que la chronique de Hirsau fait état d'un
tel événement, sans préciser le jour, mais en donnant
une heure, précisément vers 20h. Quant aux catalogues classiques,
ils évoquent le 14 septembre les effets d'un séisme alpin,
date qui se trouve être celle du début d'une mémorable
crise ... turque, ce qui relève de l'amalgame. A l'exception d'un
lieu à préciser (Sélestat ?) et de la source de Villingen,
tout reste en suspens (9). Un tel bilan est le propre d'une sismologie historique
bien comprise. Une fois un problème chronologique clairement posé,
il est souvent possible de serrer la discussion, voire d'apporter une solution,
en allant au-delà (épicentre, aire macrosismique, intensités
...), en particulier par un retour aux sources contemporaines.
C'est d'une manière étrange que les
catalogues successifs présentent l'aire macrosismique de la
crise sismique de fin septembre/début octobre 1669. Sans parler des
problèmes chronologiques posés par cette crise, problèmes
résolus pour l'essentiel à Strasbourg, il est surprenant que
les catalogues mettent l'accent sur cette ville, en admettant une intensité
épicentrale VII, certes exagérée, tout en faisant état
de plusieurs villes de la vallée du Main, sans s'interroger au sujet
de l'absence de témoignages dans l'intervalle. A priori vient
à nouveau à l'esprit l'hypothèse d'un amalgame,
fréquemment pratiqué par les contemporains, volontiers repris
par des catalogues élaborés sans esprit critique.
Chemin faisant, plusieurs exemples auront permis de
se rendre compte du poids de ce qu'il est possible d'appeler la "fixation
urbaine". Nombreux sont les séismes qui ne sont encore connus
que par des témoignages urbains, souvent d'une seule ville.
Tel est le cas d'une foule de séismes anciens,
consignés par les chroniques de Strasbourg et surtout de Bâle.
Si la connaissance de plusieurs de ces événements a fait des
progrès, en particulier par la découverte de providentielles
sources rurales, elle reste désespérément ponctuelle
pour la plupart d'entre eux, ce qui interdit toute interprétation
(épicentre, aire macrosismique, etc.), en posant d'ailleurs un
problème d'informatisation intrinsèque, sans parler d'une
exploitation hâtive de listings par des esprits dénués
de sens critique (10). Au demeurant, cette connaisance ponctuelle subsiste
pour plusieurs événements du XXe siècle. Ainsi les
séismes des 4 septembre 1837 et du 9 juin 1850 ne sont-ils encore
connus qu'au Vieux-Brisach, avec des intensités de l'ordre de V, à
l'exclusion de toute information au Kaiserstuhl et sur la rive gauche.
Visiblement, il est malaisé de proposer des épicentres, ce
qui n'a pas empêché l'auteur d'un catalogue récent de
faire état du Kaiserstuhl, sans autre interrogation, sans doute par
analogie avec une succession de séismes effectivement survenus dans
ce dernier. Fréquemment, de telles informations ponctuelles se
prêtent ainsi, en Alsace et ailleurs, à un processus de
nourrissage, susceptible de conduire à des interprétations
discutables.
Il ne peut être question de l'Alsace sans
évoquer la célèbre crise sismologique survenue en 1356
dans la région bâloise, avec ses effets lointains, telle cette
intensité VII admise à Strasbourg, sans toutefois exclure des
effets de site. Cette crise ne cesse de poser des problèmes
d'interprétation, sourtout d'un point de vue sismo-tectonique, mais
aussi pour l'appréciation de l'intensité épicentrale.
D'une manière significative des difficultés de diagnostic,
des degrés X, IX, VIII ont été proposée jusqu'ici.
Il semble qu'un accord s'établisse pour un ordre de grandeur IX. Quoiqu'il
en soit, la connaissance concrète de cette crise vient de faire un
progrès considérable grâce à une étude
minutieuse, par une historienne de talent, de ses effets à Bâle
même (11), étude dont il reste à interpréter les
apports en termes de sismologie. Cet effort sera suivi d'un réexamen
des effets matériels dans l'ensemble de l'aire des intensités
élevées, dans le même esprit. Sans doute la
caractérisation de cette crise serait-elle facilitée par des
comparaisons avec des séismes ultérieurs, modestes, dont les
épicentres se situeraient dans les même parages. Tel serait
en particulier le cas du tremblement de terre du 26 mai 1910, avec une
intensité épicentrale de l'ordre de VI.
Le nombre des révisions et des interrogations
est tel qu'il serait possible de consacrer à l'Alsace un ouvrage
spécialisé. Quel serait son bilan? Il est essentiel de souligner
que l'appréciation des intensités maximales connues, telle
qu'elle a été élaborée en 1977, au terme d'une
première étape de travail, ne serait guère modifiée.
L'idée qu'il était possible de se faire de la fréquence
de l'une ou l'autre intensité serait quelque peu nuancée. En
revanche, seraient clarifiés une foule d'événements,
fût-ce sous forme de position de problème, non sans
élimination de quelques "certitudes". Seraient multipliées
les précisions, souvent importantes à l'un ou l'autre point
de vue, sur le déroulement des crises et l'extension des aires
macrosismiques. Seraient mises en doute un certain nombre de localisations
d'épicentres et d'interprétations sismo-tectoniques nourries
par des catalogues dont le caractère souvent sommaire et les erreurs
parfois flagrantes sont à la mesure de leur "discours affirmatif".
Les croquis qui illustrent plusieurs articles récents
d'orientation sismo-tectonique suggérent que la charrue a parfois
pu être mise devant les boeufs. Une révision en amont en appelle
d'autres en aval ... S'impose le développement du va-et-vient entre
sismologie instrumentale et sismologie historique, dans l'intérêt
bien compris de l'une et de l'autre, alors qu'une juxtaposition n'est que
trop souvent pratiquée.
Quoiqu'il en soit, le rythme des découvertes
et le nombre des interrogation, aux antipodes d'une "science affirmative"
assurant le confort intellectuel, font de la révision de la
sismicité historique de l'Alsace et de ses confins une entreprise
continue, tant il est vrai qu'il suffit de quelque "trouvaille" pour susciter
des réinterprétations draconiennes en aval.
Strasbourg, 1990
Notes
1) A ce propos voir la note 1 de la publication
"L'imbroglio ...", publiée dans le présent volume.
2) R. Langenbeck, 1892-1895, Die Erdbebenerscheinungen in der oberrheinischen
Tiefebene und ihrer Umgebung, Geographische Abhandlungen aus den Reichslanden
Elsass-Lothringen, tt. I-II.
3) M. Stucchi, 1993, Through catalogues and historical records: an introduction
to the project "Review of Historical Seismicity in Europe". In: M. Stucchi
(Editor), Materials of the CEC project "Review of Historical Seismicity in
Europe", 1, Milano, pp. 3-14.
4) J. Vogt, 1981, Les tremblements de terre en Alsace, Revue d'Alsace.
"Tremblements de terre". In: Encyclopédie de l'Alsace, t. 12.
5) J. Vogt, 1991, First results from a systematic revision of the macroseismicity
of Rhine-graben area. In: Kozak, J. (Editor), Proc. 3rd ESC Workshop on
"Historical Earthquakes in Europe", Liblice by Prague, 4-6 April 1990, pp.
13-19. Ce texte signale les nombreux articles consacrés par l'auteur
à la sismicité historique de l'Alsace et des région
voisines, ce qui nous dispense de donner ici une telle bibliographie.
Malheureusement une page essentielle du manuscrit a échappé
à l'impression. Cette page est tenue à la disposition des personnes
intéresseés.
6) Pour le detail, on se reportera à la discussion spécifique
("L'imbroglio ...") publiée dans le présent volume.
7) J. Vogt, 1986, La crise sismique rhénane d'août 1728, comm.
inédite au Colloque de Sismicité Historique de Vienne, 1986.
Les découvertes faites depuis permettent d'envisager la publication
d'une monographie particulièrement fouillée.
8) J. Vogt, 1993, Révision de la crise sismique rhénane de
mai 1737. In: M. Stucchi (Editor), Materials of the CEC project "Review of
Historical Seismicity in Europe", 1, Milano, pp. 89-100.
9) J. Hirstein and J. Vogt, 1992, A propos de tremblement de terre en 1509,
Annuaire des Amis de la Bibliothèque Humaniste de Sélestat.
10) Les problèmes generaux posés par une information sommaire
et hâtive du patrimoine de sismologie historique ont été
exposés en dernier lieu au dernier Congrés des Sociétés
Savantes (Pau, 1993) par une communication de l'auteur, à paraitre.
11) E. Wechsler, 1987, Das Erdbeben von Basel 1356. Teil I: Historische und
kunsthistorische Aspekte, Publikationsreihe des Schweizerischen Erdbebendienstes,
ETH, Zürich.
Annexe
La "purge" de l'agrégat bâlois : l'exemple
du tremblement de terre du 31 mars 1788
Bâle est un parfait exemple de "fixation
urbaine". Il y a un quart de siècle une étude classique
de la sismicité du fossé rhénan et de ses bordure
énumérait en effet une centaine d'événements
signalés uniquement à Bâle. Quel défi! Mais un
défi qui a tardé à être relevé! Il y a
une quinzaine d'années, ce problème fut purement et simplement
escamoté par un catalogue rhénan élaboré, certes,
avant la prise de conscience du besoin d'une révision systématique
de la sismicité historique de ce domaine. C'est d'une manière
globale que cette activité fut signalée, sans la moindre
interrogation, sans la moindre perspective. L'apparition d'un tel agrégat
sur une carte ne conduit que trop facilement à des conclusions
discutables, non sans connotations catastrophistes. En pareil contexte, la
moindre des choses est d'entreprendre une "purge" en redoublant d'efforts.
A titre d'exemple, considérons la secousse
signalée par les catalogues à Bâle le 30 mars 1788. Reprenant
ses prédecesseurs, Langenbeck, auteur d'un célèbre catalogue
rhénan, il y a un siècle, écrit d'une manière
laconique: "Am 30. März Erderschütterung in Basel". Reprenant
cette maigre information, impropre à la moindre interprétation,
le célèbre catalogue consacré il y a un demi-siècle
par Sieberg à la sismicité de l'Allemagne jusqu'en 1799
évoque cependant, à titre d'hypothèse, une aire
macrosismique:
"Erdstoß ... der vermutlich auch in den
angrenzenden Teilen des Sund-und Breisgaus noch fühlbar war".
A vrai dire, il serait possible d'appliquer
systématiquement une telle remarque, banale, à l'ensemble de
l'agrégat bâlois, sans préjuger, certes, de la localisation
des épicentres.
En fait, il est possible de saisir grâce à
plusieurs sources, les unes d'accès facile, qui ont néanmoins
échappé aux catalogues, les autres inédites,
découvertes ces dernières années, une partie de l'aire
de ce tremblement de terre. Insistons aussitôt sur le fait que ces
sources sont rurales, ce qui est essentiel à nos yeux.
Si aucun témoignage n'est encore connu au Brisgau,
le pronostic de Sieberg est confirmé pour la région de Belfort.
Grâce à Lucie Roux, alors Directeur des Archives du Territoire
de Belfort, nous disposons d'un témoignage, remarquable par sa
précision, consigné dans le registre paroissial d'Etueffont-Haut:
c'est vers 17h que "on a ressenti un tremblement de terre qui a
été accompagné par un grand bruit; les uns l'ont ressenti
et d'autres ont seulement entendu le bruit ..." (1).
Il est permis de songer à une intensité
de l'ordre de IV.
Un grand saut nous conduit au Sud. C'est aux notes
météorologiques du pasteur Frène que nous devons un
repère tout aussi important:
" ... à 5h et demie du soir, l'on avait un
léger tremblement de terre dans la paroisse de Tavannes et à
Bellelay. J'était alors en rase campagne et ne sentis rien"
(2).
Une fois de plus, admettons une intensité de
l'ordre de IV. Sans doute trompé par un écho de seconde main,
le listing français de sismiscité historique fait état
de Moutier, certes proche.
Plus au Sud encore, notre secousse est signalée
à Sutz, d'une manière laconique (3).
Faisons le point. La dispersion des témoignages
est remarquable, sans que soit encore connu un point d'intensité notable
qui permettrait de supputer un épicentre. Jusqu'à nouvel ordre,
le repère bâlois ne saurait être mis en relief. Le
rassemblement de ces données est donc à la fois un succès
et un échec, suggérant des recherches spécifiques.
Pour l'histoire des mentalités, il n'est pas
inutile d'ajouter un commentaire du curé d'Etueffont-haut. En effet,
la secousse fut suivie d'une "pluie abondante qui a produit après
quelques jours le beau temps".
A ce propos, il esquisse une comparaison avec un
précédent séisme, sans doute celui de 1784: "...
depuis son arrivée, nous n'avons plus eu de bonnes années".
Et de conclure: "On espère que celui-ci remettra la terre en
équilibre".
Au demeurant, de telles considérations sont
fréquentes avec, parfois, une perception positive de l'activité
sismique.
Notes
1) En dépôt aux Archives
Départementales de Belfort.
2) X. Kohler (Editor), 1872, Observations météorologiques,
économiques et rurales dans l'Erguel et la Prévôté
de Moutier de 1747 à 1804 par le pasteur
T. Frène, Actes de la Société Jurassienne d'Emulation
à Délémont, 22e Session.
3) Bürgerbibliotek Bern, ms. Oek. Ges. Q 16-20.
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