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L’élaboration de nouveaux catalogues de séismicité historique en est à ses débuts; en effet, jusqu’il y a une vingtaine d’années environ, les séismologues se référaient à des compilations établies sans souci des règles de la critique des sources; encore à l’heure actuelle circulent un peu partout en Europe des "listings” officieux qui procèdent de ces anciens catalogues et qui contiennent plus de données fausses que d’éléments fiables.
Pour comprendre cette situation, il faut passer brièvement en revue l’histoire de ces recueils de séismes anciens. Du XVIe au XVIIIe siècles, de nombreuses listes d'événements naturels ont été publiés, depuis le Chronicon prodigiorum ac ostentorum de Lycosthènes (Bâle, 1557), jusqu’au catalogue de Gueneau de Montbeillard édité dans la Collection Académique (t. VI, 1761); ces ouvrages ne sont plus utilisables aujourd’hui que comme sources, pour les périodes dont les auteurs sont contemporains; pour les époques antérieures, ils sont sans valeur critique.
Du moins ces auteurs des XVIe-XVIIIe siècles avaient-ils l’excuse de ne pas avoir à leur dis¬position de bonnes éditions des sources historiques; il n’en va plus de même quand, au cours du siècle qui va de 1640 à 1940 environ, parussent la plupart des grands catalogues traditionnels de séismicité historique, depuis Von Hoff (1840) et Perrey (1845-1848) jusqu’à Sieberg (1940), en passant par Baratta (1901), Lancaster (1901), Lemoine (1911), Milne (1911) et Giessberger (1922) ; ces auteurs auraient pu utiliser les grandes collections de sources anciennes éditées en Europe à partir de 1826 (t. I des Monumenta Germaniae Historica) il n’en a rien été, car la lecture et surtout l’utilisation critique de ces sources nécessitaient la collaboration des histo¬riens (qui, à l’époque, ne s’intéressaient pas à l’histoire des phénomènes naturels, climatiques, sismiques, ou autres); aussi les auteurs de catalogues se sont-ils contentés soit de recopier les anciennes listes établies aux XVIe-XVIIIe siècles, soit de se recopier les uns les autres.
Pour la période 400-1260, le tableau ci-dessous donne le pourcentage de données fausses des principaux catalogues de séismicité historique :
Catalogue |
Vrais Séismes |
Faux Séismes |
% d’erreurs |
VON HOFF, Monde, 1840 |
28 |
41 |
59% |
PERREY, France, 1845 |
51 |
34 |
40% |
PERREY, Bassin du Rhin, 1847 |
26 |
34 |
57% |
PERREY, Bassin du Danube, s.d. |
4 |
14 |
78% |
PERREY, Italie, 1848 |
17 |
17 |
50% |
TORFS, Belgique, 1862 |
23 |
26 |
53% |
NOEGGERATH, Rhénanie, 1870 |
14 |
11 |
44% |
TARAMELLI, Italie, 1888 |
10 |
17 |
63% |
BARATTA, Italie, 1901 |
13 |
26 |
67% |
LANCASTER, Belgique, 1901 |
8 |
14 |
64% |
LEMOINE, Bassin de Paris, 1911 |
28 |
31 |
53% |
MILNE, Monde, 1911 |
9 |
27 |
75% |
GIESSBERGER, Bavière, 1922 |
26 |
51 |
66% |
SIEBERG, Allemagne, 1940 |
53 |
106 |
67% |
VAN RUMMELEN, Limbourg, 1942 |
12 |
23 |
66% |
MONTANDON, Suisse, 1942 |
7 |
7 |
50% |
MONTANDON, Europe, 1953 |
9 |
13 |
59% |
Les divers processus par lesquels se créent ces faux séismes ont été analysés ailleurs (Alexandre, 1990); en résumant, on peut classer les fausses données des catalogues en trois catégories:
- séismes entièrement imaginaires, dûs à la créance accordée à des documents sans valeur (p.ex. le prétendu séisme de Tongres vers 600-615) ou à la mauvaise lecture des textes (p.ex. "Salins" en Savoie qui devient "Salviens" en Provence, d’où le prétendu séisme d'Aix-en-Provence en 1227; ou bien Montandon qui confond Acconensis, “de St-Jean- d’Acre” avec Aquenais, "d’Aix", et qui crée ainsi un faux séisme en 1202 à Aix-la- Chapelle).
- Séismes qui ont bien eu lieu, mais pas à la date indiquée, ou qui ont été "redoublés" : par exemple le séisme du 3/1/1117, que l’on retrouve le 3/1/1104, le 3/1/1112, le 3/1/1116, etc.; ces erreurs proviennent de la méconnaissance des usages chronologiques anciens (p.ex.: les auteurs qui font débuter l'année le 25 mars placeront ce même séisme en 1116), ou simplement de l’emploi de manuscrits dont les dates ont été mal recopiées.
- Séismes qui ont bien eu lieu, mais pas dans les endroits indiqués: par exemple le séisme du 29/3/1000 en Belgique, devenu cataclysme européen d’intensité X-XI avec épicentre à Ljubljana, ou bien l’hypothétique secousse du 8/2/1062 près de Constance, devenue séisme d’intensité VIII à Ratisbonne, avec chute de maisons, etc. Ces données fausses en très grand nombre dérivent en général d’extrapolations hâtives provenant de compilations locales de l’Epoque Moderne; ou bien elles découlent de l’ignorance, par les auteurs de catalogues, soit des liens qui unissent entre elles les annales médiévales, soit des lieux où ont été rédigées les sources originales.
Il faut donc faire table rase de ces compilations et élaborer de nouveaux recueils de données, établies selon les règles de la critique historique (Vogt, 1979; Ambraseys, 1983; Alexandre, 1984).
Le présent travail a pour objectif de rassembler toutes les données fiables que les sources écrites originales nous ont laissées sur les séismes survenus en Europe continentale (France, Belgique, Pays-Bas, Allemagne, Suisse, Italie du Nord, Autriche, Tchécoslovaquie, Pologne) pour la période qui va de 394 à 1259 (terme provisoire de cette étude car nous publierons ultérieurement les données recueillies pour les années 1260-1348; pour la période antérieure à 394, les sources manquent: ne sont connus qu’un séisme en Ligurie et dans les Alpes Maritimes en 217 avant notre ère, et un séisme dans la région de Modène en 91 avant notre ère).
La première partie est consacrée à l'étude critique des sources: tous les textes recueillis dans les sources médiévales sont passés en revue dans le but de ne conserver que les éléments originaux et d’éliminer les textes recopiés, qui font double emploi et véhiculent des erreurs. Dans certains cas, la source originale a été perdue, mais les textes qu’elle contenait ont été conservés par une source de seconde main; ces éléments pourront être Utilisés dans le catalogue, mais uniquement lorsque la provenance de la source perdue aura pu être identifiée clairement.
Une attention particulière a été portée en outre aux lieux de rédaction des sources originales; en effet, plus de 50% de nos textes ne mentionnent pas explicitement l’endroit où le séisme a été ressenti; pour l’annaliste médiéval et ses lecteurs, il va de soi qu’une mention de séisme sans précisions géographiques se rapporte à une secousse ressentie localement, sans qu’il soit besoin même de le préciser; d’où l’intérêt qu’il y a à déterminer l’origine de chaque série annalistique.
La deuxième partie du travail sera le catalogue des séismes proprement dit; pour chaque tremblement de terre le ou les textes disponibles seront analysés, avec d’éventuelles précisions ou corrections chronologiques et topographiques; ces analyses ne négligeront aucun élément permettant de connaître la date, la durée, te nombre de secousses, la zone de perceptibilité et les intensités locales de chaque épisode séismique.
Enfin, en annexe, nous donnons le catalogue des faux séismes, c’est-à-dire la liste des données des catalogues traditionnels (de 1840 à nos jours) dont nous n’avons trouvé aucune trace dans les sources fiables de l’histoire européenne.